
« Nous sommes mardi. Il est 9h. J’ai rendez-vous jeudi en début d’après-midi avec le cabinet qui vient juste de me faire passer le dossier d’une affaire. Il s’agirait, d’une « pépite » selon ce conseiller en charge du mandat de vente. Le cédant est pressé de vendre. J’ai très peu de temps pour l’analyse et je dois être crédible ! Excitée à l’idée d’ouvrir le mémo, je suis déjà en train de me voir aux commandes de cette entreprise pour laquelle je ne connais encore rien de son activité. Mais par où commencer et que dois-je analyser au juste ? Suis-je un lièvre et quel est le prix …. »
Voici un exemple récurrent de situation que peuvent connaître les repreneurs. On reçoit des offres au compte-gouttes. On passe souvent énormément de temps à chercher et relancer des contacts capables de nous transmettre des offres de cession. Mais, une fois que l’on trouve, il faut pourtant être réactif et critique dans la compréhension de l’entreprise. Ne soyons pas dupes et canalisons nos émotions, c’est la règle des affaires ! Même si le premier sentiment semble être le bon, une conviction se forge aussi sur une analyse de l’entreprise dans son environnement. On ne fait pas ici de la chirurgie, on ne dissèque pas les comptes financiers. On ne se perd pas non plus dans les détails mais on prend le recul nécessaire.
Pour préparer au mieux les premières analyses et les premiers entretiens, je vous présente 10 points à valider avant de confirmer votre intérêt.
1-Les raisons de la vente
Comprendre les motivations de la vente :
- Maladie, vieillesse, fatigue physique
- Faire autre chose avec un capital mérité
- Contrainte, absence de potentiel dans l’entourage
- Perte de créativité, crise de croissance, difficultés
Savoir s’adapter aux motivations du cédant
- Maladie – vieillesse –fatigue physique => Plaire-séduire- convaincre de la pérennité
- Faire autre chose avec un capital mérité => Négociation froide et dépassionnée
- Perte de créativité, crise de croissance,… => Négociation plus délicate
- Difficultés =>Négociation plus facile à priori

2-Comment l’entreprise gagne-t-elle de l’argent ?
Comprenez le business modèle de l’entreprise et tentez d’évaluer la manière dont elle gagne de l’argent. Comment crée-t-elle cette valeur ajoutée ? Pourquoi les clients préfèrent les produits ou services de cette entreprise plutôt qu’une autre ? Pourquoi est-elle si différente ? Quel est son avantage compétitif ?
Faites parler le cédant car lui seul connaît son marché. Il est capable de définir les attentes de ses clients et peut décliner le positionnement, les forces et faiblesses de ses principaux concurrents. Il vous indiquera comment l’entreprise répond de manière différenciée au besoin du client et quelle architecture (coût/investissement) a-t-il mis en place pour générer de la valeur. Peut-être pas avec « vos mots » mais avec les siens. Ecoutez, écoutez encore et ne parlez que très rarement pour poser de simples questions mais pertinentes !
3-La structure du marché et son évolution
La composition d’un marché est simple. Une offre et une demande ! L’enjeu ici est d’en cerner le catalyseur. Cela vous permettra d’identifier les enjeux de l’environnement ou évolue l’entreprise.
Par exemple, les technologies digitales ont recomposé le secteur des papetiers et des imprimeurs. Quand une vague de froid s’abat sur l’Espagne, le prix du jus d’orange grimpe dans tous les supermarchés du pays. Quand Airbus rempli son carnet de commande, les sous-traitant de l’industrie aéronautique augmentent leurs activités. La crise sanitaire récente profite aux produits d’origine locale.
Nul besoin de faire une étude de marché complexe, passez du temps sur internet pour relever quelques articles (site spécialisé, Xerfi, rapport de stage étudiant, presse économique). Comparez ensuite ces éléments avec la vision du cédant et déterminer les caractéristiques clés du marché.
4-Les hommes de l’entreprise
Quel est l’influence du cédant dans son entreprise ? Son départ peut-il nuire au fonctionnement de l’entreprise auprès des fournisseurs, clients et employés. A vous de définir l’intuitu personæ du dirigeant !
Vérifiez s’il existe un homme clés dans l’entreprise. Restera-t-il après la cession ? Essayez de prendre la température auprès du cédant sur l’atmosphère qui y règne. Quel est la dernière embauche ? Fait-il appel à des intérimaires ? Quel est la moyenne d’age ?
Décrypter la culture et le management d’entreprise, paternaliste, autoritaire ou participative ? Est-ce une organisation délégué, en râteau ou le dirigeant se charge de « presque tout » ?
5-La force concurrentielle
Rien de mieux pour évaluer la force concurrentielle du secteur ou évolue l’entreprise cible que d’utiliser la matrice des 5 forces de Porter :

- Concurrents actuels : Quels sont-ils, qui sont les leaders, quels sont leurs avantages compétitifs et leurs faiblesses ?
- Nouveaux entrants : Quel est le niveau des barrières à l’entrée du marché ? Y-a t-il un besoin technologique fort ? Plus le nombre d’entrants est important, plus la concurrence sera forte. Au final, le profit tendra vers zéro.
- Pouvoir de négociation des clients : Le niveau de concentration des clients accorde plus ou moins de pouvoir aux entreprises ; des clients peu nombreux faisant face à des producteurs multiples ont de plus grandes possibilités de négociation.
- Produits de substitution : La présence d’un produit pouvant remplacer le vôtre offre une alternative à vos clients (cigarette électronique, VTC, …).
- Pouvoir de négociation des fournisseurs : Un marché est moins attractif si les fournisseurs sont « puissants » et/ou organisés entre eux. A l’inverse, plus l’offre est pléthorique, plus la tension sur les prix permettra d’envisager des négociations avantageuses sur les conditions, les délais et la qualité.
6–Le positionnement et l’offre de l’entreprise
Quel est l’usage du produit/service ? La société dispose t’elle d’un avantage spécifique comme un certain degré d’innovation, un brevet, un agrément, une capacité d’innovation avec des équipes R&D dédiée … ? Est-ce un produit unique, une gamme ou un portefeuille produit présent sur plusieurs marchés ? Quel est le cycle de vie du produit ? Quelles sont nos parts marchés (national, régional ou local), quelle est la politique de distribution ainsi que la force de vente. Qui sont les clients et enfin quel est le positionnement par rapport aux concurrents et aux yeux du client ?
Une explication très claire sur la notion de positionnement est relayé dans les « 22 lois immuables du marketing », consultez le pour vous familiariser avec ces concepts !
7-La valeur ajoutée du repreneur et le projet
Quelle stratégie pensez-vous mettre en avant après la reprise et quelles compétences/qualités/expériences allez-vous déployer ? L’art de se projeter dans ce challenge est de déceler les leviers de création de valeur, de se connaître et de vérifier son adéquation par rapport au projet de reprise. Pour comprendre ces leviers, je vous joins un panel qui éclairera vos réflexions :
*Croître et conforter la position concurrentielle
- Nouveaux produits (Innovation)
- Nouveaux marchés (Croissance interne. Croissance externe)
*Améliorer de manière durable la rentabilité
- Améliorer la productivité opérationnelle (Plans d’actions)
- Améliorer le fonctionnement interne (Développer le capital humain, Améliorer les pratiques de gestion)
*Maîtriser les risques
- Pérenniser l’entreprise
- Gestion des risques
*Optimiser les capitaux investis
- Optimisation du bilan de l’entreprise (Optimise le BFR, Optimiser les capitaux investis)
- Repositionnement de l’entreprise (Céder des actifs non stratégiques, Réaliser des acquisitions)
*AFIC et Ernst & Young 2005 – La création de valeur, résultat d’une alchimie entre entrepreneurs et investisseur en capital
8-La capacité bénéficiaire de l’entreprise
Voilà venu le temps des chiffres. N’y passez pas votre vie. Seuls quelques ratios peuvent confirmer la vision que vous avez de l’affaire.
Le chiffre d’affaires : Reconstituez rapidement le chiffre d’affaires en définissant le poids des principaux clients, la part des différents produits ou services. Leurs évolutions sur 3, 4 ou 5 ans. Expliquez rapidement son évolution : Nouveaux clients, récurrence, augmentation du panier par clients, hausse tarifaire ?
Les marges : Quels sont les niveaux, comparer ces niveaux aux acteurs du secteur (via Kompass, Xerfi, Diane, …..). Analysez leurs évolutions en distinguant les hausses tarifaires, de la baisse des conditions d’achat ou d’une évolution du mix-produits.
Les ratios de rentabilité : Après le commerce, l’analyse se porte sur la capacité de bon gestionnaire du dirigeant. Les coûts sont-ils maîtrisés, les investissements sont-ils adéquats ? La capacité bénéficiaire de cette bonne gestion pourra être lu à travers les ratios de EBE, de REX, ou de résultat après impôts.
La solvabilité : Jetez enfin un œil au bilan ou plutôt aux actifs que détiens l’entreprise. Le couple stock et créance doit être mis en rapport avec les délais de règlements fournisseur pour vérifier si le cash circule de manière optimale ou si l’entreprise fait appel à des découverts bancaires pour assurer sa survie ! Un point rapide sur l’immobilier et sur l’outil de production permet de connaître le patrimoine de l’entreprise. Son évolution au cours du temps vous donne une idée des investissements réalisés ou à réaliser. Comme vous pouvez le noter, on ne s’étend pas sur les chiffres. Il faut confirmer que le commerce se porte bien, que l’affaire est bien gérée et que la rotation du cash assure le train de vie quotidien de l’entreprise.
9-La trésorerie et la capacité à rembourser la dette
Question plus épineuse ! Le repreneur d’entreprise va finalement utiliser la capacité à dégager du cash pour rembourser l’emprunt qu’il ou elle aura souscrit afin de financer son acquisition. Consultez mon post sur ce sujet intitulé « 3 méthodes de valorisation » pour vous aider à définir plus précisément la capacité d’endettement d’une cible.
Pour faire court, une banque ne prêtera qu’à hauteur d’un certain niveau de cash ou de résultat dégagé. Les ratios, qui circulent actuellement, évaluent ces niveaux à 4 année de CAF, 2,5 année d’EBE ou 5 année de résultat. En l’absence de dette dans la cible, si l’on rajoute la trésorerie disponible excédentaire avec les fonds propres du repreneur, on peut évaluer rapidement l’adéquation ou non du financement envisagé !
10-Le coup de cœur
Ne soyez pas prisonnier des dogmes et écoutez votre petite voix interne. Ne prenez pas les choses au sérieux et soyez simples.
Les critiques ou les recommandations de votre entourage/conseils doivent être constructives, utilisez les pour prendre le recul nécessaire. En revanche, n’oubliez jamais que vous être seul maître à bord et que les conseillers ne sont jamais les payeurs !
Tombez amoureux est un luxe qui n’arrive qu’une ou deux fois dans la reprise d’entreprise. Ne laissez donc pas filer cette chance !