
45 millions d’internautes en France, 36 millions d’acheteurs sur Internet. Il faudra bien qu’un jour l’entreprise parle le même langage qu’eux.
Avant-gardistes et leader sur leur marché, certaines entreprise ne voient pas toujours l’intérêt d’investir dans les médias sociaux. A tort?
« J’ai une aversion profonde pour Facebook et Twitter. Je ne leur trouve aucune utilité et leur intrusion me gêne beaucoup. Ni l’un ni l’autre ne sont des outils de développement pour nous. Je ne crois d’ailleurs pas qu’ils vont durer. C’est une mode, les gens vont s’en lasser. » Loïc Bessin est catégorique. Ce co-fondateur de Eco-Dex, une TPE sarthoise de 20 personnes préfère de loin le concret au virtuel. « Notre philosophie est avant tout industrielle et proche du terrain. » Et cela lui convient très bien ainsi.
Facebook, Twitter… pour quoi faire?
Sa société conçoit et fabrique depuis 2012 des automates capables de conditionner et de délivrer des médicaments unidosés et tracés. Ses machines, uniques sur le marché national, équipent à ce jour 12 établissements médicalisés et délivrent des pilules tous les jours à plus de 4000 patients. Eco-Dex affiche un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros et Loïc Bessin avoue que son entreprise est dimensionnée pour atteindre les 10 millions. Mais rien n’y fait. « Notre site internet est largement suffisant pour nous faire connaître », estime-t-il.
Des patrons aussi réfractaires au digital, Fabienne Billat en rencontre régulièrement. Cette experte en stratégie numérique brandit toujours les mêmes arguments. « Il existe 45 millions d’internautes en France et 36 millions d’acheteurs sur Internet. Même si l’entreprise n’est pas connectée, ses clients, ses prospects, ses fournisseurs, ses concurrents et ses collaborateurs le sont. Il faudra bien qu’un jour elle parle le même langage qu’eux. »
Il faut qu’on s’y intéresse davantage
Clextral s’est emparé du sujet il y a un an. Cette ETI ligérienne de 57,6 millions d’euros et 277 salariés est l’inventeur et le leader mondial de l’extrusion bivis, un procédé révolutionnaire adopté par les géants de l’agroalimentaire pour fabriquer des céréales, des gâteaux apéritifs, des pains croustillants, des croquettes pour animaux. Elle est aussi numéro un mondial dans la vente de lignes de production de couscous et lancera cette année une nouvelle génération de poudres poreuses. L’entreprise réalise plus de 90% de son chiffre d’affaires dans 92 pays. « Jusqu’en 2015, notre principal vecteur de communication était notre site internet multilingue, indique le président Guillaume Pasquier. Puis, nous avons créé un poste de webmarketing pour développer notre présence sur les réseaux sociaux où nous diffusons de l’information business. »
A y regarder de plus près, les comptes Twitter et Facebook de l’entreprise sont peu alimentés, le nombre d’abonnés cumulés plafonnent à 600 et sa page LinkedIn se réveille tous les dix jours. « J’ai conscience qu’il faut qu’on s’y intéresse davantage », admet ce dirigeant. Quitte à twitter lui-même? « Je ne suis pas sûr d’y arriver et d’ailleurs, je ne sais pas trop ce que je pourrais dire », avoue-t-il en riant. « Le principal, c’est que l’entreprise y soit, pour nos clients et pour attirer de futures recrues. Nous sommes en croissance et nous avons besoin de montrer une image moderne de l’entreprise. » D’autant plus que Clextral soufflera ses 60 bougies en octobre prochain…
Pas question de nous précipiter
Autre approche chez Velum à Bischoffsheim (Bas-Rhin) où la communication digitale se déploiera « petit à petit », selon les voeux de la présidente Anne Vetter-Tifrit. Cette ingénieure Supélec, fille du fondateur, a repris les rênes de la PME familiale en 2011 avec son mari. L’entreprise de 110 personnes fabrique depuis plus de 40 ans des luminaires « 100% alsaciens » pour les professionnels. Labellisée « Usine du futur » en 2015, elle réalise 30% de ses 19 millions de chiffre d’affaires à l’export et vient d’investir 2 millions dans une unité de thermolaquage qui sera inaugurée fin juin.
« C’est important d’être présent sur les médias sociaux, mais pas question de nous précipiter. Nous maîtriserons chaque outil l’un après l’autre pour bien structurer notre communication. » La page Facebook de la société sera réanimée d’ici peu, un profil LinkedIn puis un compte Twitter verront le jour. Anne Vetter-Tifrit va même gazouiller à titre personnel. « Je relayerai de l’information qui ne concernera pas forcément Velum car j’occupe d’autres responsabilités: je suis conseillère technique à la CCI de Strasbourg, conseillère du commerce extérieur et je milite pour la place des jeunes et des femmes dans l’industrie. » La jeune femme postera ses 140 caractères toutes les… six semaines.
Une question de nature
« S’afficher sur les réseaux sociaux relève surtout d’une nature curieuse et relationnelle,commente Fabienne Billat. Certains patrons sont gênés ou disent ne pas avoir le temps, d’autres ont peur parce qu’ils méconnaissent les outils, beaucoup ne sont intéressés que par le retour sur investissement que cela va leur procurer. En fait, il faut y aller avec la curiosité d’entrer en contact avec d’autres personnes, avec ses collaborateurs,les marchés, les médias, voire des concurrents. Ceux qui restent sur leur réserve courent le risque de se couper d’autres communautés, et c’est bien dommage… »
Par Corinne Dillenseger