Une fois la décision d’investissement confirmée s’ouvre la phase de négociation financière. La négociation peut durer plusieurs mois. Elle va amener à débattre des besoins à financer et de la valorisation de l’entreprise.
Pour commencer, quelques définitions …
Valorisation : La valorisation est le prix de l’entreprise sur le marché à un instant donné. Cette valeur tient compte du passé et de l’avenir attendu, mais aussi de la valeur marché (prix que quelqu’un est prêt à mettre…). Vous devez garder à l’esprit que, tant qu’elle n’est pas vendue, le prix de l’entreprise est « virtuel ».
Valorisation pre-money et post-money : Lorsque l’on parle de valorisation, il faut bien distinguer la « valeur pre-money » de la « valeur post-money » de l’entreprise :
• L’entreprise a une valeur dite « pre-money » avant l’apport de l’investisseur,
• Une fois cet apport réalisé, la nouvelle valeur, dite « post money », est égale à la valeur pré- money additionnée de l’apport de l’investisseur.
Cela donne l’équation suivante : valeur post money = valeur pré-money + montant investi
Pour déterminer cette valorisation, il existe des méthodes plus ou moins complexes. Les méthodes pertinentes varient selon le stade de développement de l’entreprise.
Les méthodes d’évaluation pour le capital-développement et les phases ultérieures
Pour des entreprises en développement ou à maturité, l’entreprise bénéficie d’un historique et d’une visibilité, ce qui permet d’utiliser plusieurs types de méthodes pour calculer sa valeur.
Les méthodes d’évaluation peuvent être classées en deux catégories :
Les méthodes intrinsèques
Les méthodes intrinsèques examinent l’ensemble des caractéristiques propres à l’entreprise :
• Le total de bilan, qui est la méthode la plus simple,
• L’approche patrimoniale (ou valorisation par l’actif net comptable): elle consiste à recalculer à partir des comptes de l’entreprise un actif net corrigé obtenu en réévaluant les actifs de l’entreprise. Cette méthode est généralement utilisée pour des holdings ou sociétés de participation dont l’objet est de gérer des participations dans des activités diversifiées,
> Ces deux premières méthodes sont les moins pertinentes pour des entreprises « classiques » et « technologiques » ;mais elles permettent de se faire une première idée de l’ordre de grandeur de la valorisation.
• Les approches liées à la rentabilité: elles consistent à déterminer un indicateur qui exprime la performance de l’entreprise (chiffre d’affaires, EBE, résultat net, «cash flow» = flux de trésorerie) et à déterminer la valorisation future liée à cet indicateur,
• La méthode des «discounted cash- flows» (DCF), ou « actualisation des résultats futurs », qui consiste à visualiser l’avenir de l’entreprise, et prend la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs. Schématiquement, la méthode des D.C.F. consiste à actualiser les «free cash-flows» (F.C.F.)
Les méthodes analogiques
Ce sont les méthodes des comparables ou multiples. Elles consistent à appliquer aux critères de performance de l’entreprise évaluée (généralement le résultat d’exploitation ou le résultat net), les multiples de performance issus d’une ou d’un groupe d’entreprises de référence du même secteur
> Cette dernière méthode est la méthode intrinsèque la plus employée.
Ces dernières sont le plus souvent des sociétés cotées (on parle de comparables boursiers), et parfois des sociétés non cotées (il s’agit de transactions comparables), car il est difficile de connaître les prix retenus pour des prises de participation de non coté.
• Dans la méthode des comparables boursiers, le multiple de résultat d’exploitation est le rapport capitalisation boursière/résultat d’exploitation, le multiple de résultat net est le rapport capitalisation boursière/résultat net,
• Dans la méthode des multiples de transactions comparables, on substitue à la capitalisation boursière le prix de cession,
> Si la méthode des comparables est la plus facile à mettre en œuvre, elle n’est pas toujours pertinente, car trouver des sociétés réellement comparables n’est pas simple.
Comment choisir la bonne méthode ?
Le recours à plusieurs méthodes est fortement recommandé, pour ne pas dire obligatoire. La pertinence des méthodes dépend largement des caractéristiques de l’entreprise (type d’activité) et du contexte (conflit entre actionnaires, cession à un groupe industriel, etc.). Il convient donc de les employer avec discernement. Par exemple :
• Si l’activité de l’entreprise est à prédominante industrielle, l’approche patrimoniale est la méthode la plus couramment retenue,
• Si l’entreprise est en phase de fort développement, les méthodes liées à la rentabilité sont à privilégier,
• Si l’entreprise fait appel à l’épargne publique et que ses titres sont négociés sur un marché réglementé, la méthode par la comparaison des «Price Earning Ratio» (PER) est privilégiée.
Cependant la méthode la plus fréquemment utilisée par les banques d’affaires françaises et anglosaxones est la méthode dite DCF. Malgré l’existence de méthodes de calcul, l’évaluation d’une entreprise n’est pas une science exacte, car la valeur est aussi liée à une notion d’offre et de demande, à ne pas oublier…
Utiliser plusieurs méthodes permet de comparer les résultats obtenus et ainsi de se conforter sur la fourchette de prix obtenue. Ces différentes méthodes présentent l’avantage de fournir des arguments à celui qui aurait à défendre une valorisation. En réalité, force est de constater que le prix d’une entreprise est essentiellement déterminé par ce que les investisseurs sont prêts à payer. Libre à l’entrepreneur de refuser des conditions qu’il jugerait trop défavorables pour lui et d’attendre d’éventuels jours meilleurs…
Méthodes d’évaluation du capital amorçage ou capital création
Pour des projets à un stade d’amorçage ou de création, pour lesquels il existe peu d’historique, c’est plus complexe. Les méthodes d’évaluation citées ci-dessus ne s’appliquent pas.
À ces stades, la valorisation résulte en général de plusieurs paramètres :
• Une méthode des comparables pour des opérations faites sur des start-ups de même typologie et au même stade de développement.Les investisseurs s’inspirent de leur expérience et de la tendance du marché pour avoir une première idée de la fourchette de valorisation de l’entreprise.
Vous pouvez essayer de vous renseigner en identifiant les valorisations qui sont pratiquées. Ces informations ne sont pas toujours faciles à obtenir. Vous pouvez en trouver sur internet (notamment dans les communiqués de presse de levées de fonds), et surtout en échangeant avec d’autres entrepreneurs qui ont levé des fonds.
• Un calcul fait en tenant compte des contraintes et attentes des investisseurs et de l’entrepreneur :La valorisation précédente s’il y en a une: si l’entreprise a créé de la valeur depuis son tour de table précédent, il est difficile pour les investisseurs d’intervenir à une valorisation inférieure à celle du tour de table précédent. En effet, s’ils intervenaient à une valorisation inférieure, cela signifierait une très forte dilution des fondateurs, fortement démotivante.
La valorisation post money du tour précédent constitue donc une valeur « plancher » de référence.
Par contre, attention à ne pas fixer une valorisation trop élevée lors d’un tour de table avec du «love money» ou des «business angels», pour imposer cette valeur plancher par la suite à des investisseurs institutionnels. Vous prenez le risque qu’ils refusent tout simplement d’investir à cause de cette valorisation, même s’ils croient au projet.
Le montant levé et la dilution de l’entrepreneur lors du tour de table évoqué : à ce stade et notamment en vue de tours ultérieurs, l’entrepreneur (et au minimum le Groupe fondateur) doit rester majoritaire après la levée de fonds. La fourchette basse de valorisation est obtenue par une simple règle de 3 prenant en compte le montant levé et le pourcentage minimal détenu par les fondateurs (51 %).
Montant investi = 49 % Volo Post money,
d’où Volo post- money = Montant investi /49 x 100
et Volo pré-money = (Montant investi /49 x100) – Montant investi
Sachant qu’en général, pour les premiers tours de table, la fourchette de détention du capital « classique » des investisseurs est comprise entre 20 et 40 %. Cette fourchette vous permet d’étalonner la réflexion.
• Le nombre de tours de tables prévus pour le développement de l’entreprise et les montants qui devront être levés
Plus le nombre de tours de table prévus et les montant s nécessaires sont élevés, plus les investisseurs doivent consentir un pourcentage élevé aux fondateurs, de manière à ce que leur dilution reste raisonnable lors des tours de table ultérieurs, foute de quoi, ils seraient ensuite démotivés.
• Le TRI et la plus-value potentielle attendus par l’investisseur à l’horizon envisagé pour la sortie
Ainsi, l’investisseur raisonne en partant du futur. Il part d’une estimation de la valorisation potentielle de l’entreprise ou moment d’une sortie (souvent basée sur le business plan à horizon 5 ans). Et à partir de cette valeur souhaitée, il calcule le maximum que la société peut valoir le jour de son investissement pour que cet investissement soit rentable pour lui lors de la vente. Les chiffres classiques attendus sont en général un multiple de 2 à 3 minimums pour une cession à 3 à 5 ans.
La prise en compte de ces contraintes donne une fourchette de valorisations possibles.
• La tendance du marché de l’investissement.
Chaque catégorie d’acteurs connaît ses propres tendances:
Les business angels : ils mettent en général entre 150 K€ et 300 K€, pour entre 20 et 30 % de l’entreprise. Si vous faites le calcul, cela donne des valorisations moyennes pour un premier tour de table comprises entre 450K€ et 1,5M€ post –money.
Les fonds interviennent plutôt sur des tours compris entre 1 et 3 M€, là encore pour un pourcentage compris entre 20 et 40 %. Nous arrivons donc à des valorisations post- money moyennes de 2,5 à 10 M€.
Ces fourchettes peuvent varier en fonction des tendances du moment.
• La résultante d’une négociation selon la loi de l’offre et la demande.
À l’intérieur des fourchettes de valorisation (issues des contraintes ci dessus), il y o une marge de négociation qui dépend de quelques éléments à prendre en compte, comme la qualité de l’équipe, le relationnel avec les investisseurs, l’actualité et la taille du marché, le début de traction que peut avoir l’entreprise, la capacité d’exécution des fondateurs, un premier CA, une techno maîtrisée, une vraie connaissance intrinsèque du marché…
En aucun cos des éléments mathématiques que l’on pourrait mettre dons des cases sur Excel.. Les investisseurs reçoivent beaucoup de dossiers, mois tous ne sont pos aussi prometteurs. Si vous êtes dons un rapport de force à votre avantage, et que vous pouvez montrer que plusieurs <> d’investisseurs sont intéressés, vous aurez un réel pouvoir de négociation et réussirez à négocier des conditions d’entrée plus intéressantes.
Finalement, deux éléments dont vous êtes maître comptent beaucoup sur la valorisation :
• Une question de timing et de rapport de force.
À quelques mois d’intervalle, votre projet n’a pas du tout la même valeur, que ce soit en raison de l’état des levées de fonds en général, de l’approche du mois de juin pour les fonds TEPA (liés à l’ISF), du type de projet que vous avez, de l’envie des investisseurs de faire un deal et de leurs contraintes d’investissement (besoin d’investir ou de lever le pied). Un autre élément de timing est la dynamique dans laquelle se trouve votre projet : quelques mois pleins de bonnes nouvelles, et il est fort probable que la valorisation de votre boîte soit bien meilleure que si vous luttez depuis plusieurs mois… Beaucoup de porteurs de projets demandent des valorisations excessives alors même que la société n’a généré ni de chiffre d’affaires, ni a fortiori signé des commandes, ni même obtenu des lettres d’intention de la part de ses clients. L’absence de chiffre d’affaires et d’éléments crédibilisant venant du marché (lettres d’intérêt des clients, phase pilote engagée chez des clients…) minore de façon significative la valorisation de la société
• Une question du montant levé.
Certains entrepreneurs se fixent une valorisation et ne veulent pas lever en-dessous. Certes, c’est bien d’avoir des convictions et de ne pas « donner » son entreprise. Mais vous devez aussi pouvoir la développer et créer de la valeur. Le plus important n’est pas tant dans la valorisation de l’entreprise, mais dans le rythme auquel vous pourrez vous développer : mieux vaut avoir un peu moins, mais plus tôt, pour pouvoir continuellement accélérer et bâtir son projet.
Les négociations sur la valorisation
La valorisation est une phase délicate. Les chiffres annoncés par l’entrepreneur sont parfois très éloignés des estimations des investisseurs. Il s’agit alors de trouver un compromis.
Attention : il est important qu’à l’issue des négociations, chacun y trouve son compte. Dans le cas contraire, les rancœurs finiront toujours par ressortir et seront néfastes pour l’entreprise.
Un autre point important et à ne surtout pas négliger, est que la négociation ne se limite pas à la valorisation affichée au moment de l’entrée des investisseurs. Les entrepreneurs oublient fréquemment que la valorisation donnée au moment de la signature du chèque n’est pas toujours celle qui sera « pratiquée » au final. Deux autres éléments tout aussi importants interviennent :
• Il existe des mécanismes de réajustement de la valorisation qui permettent de faire évoluer la valorisation dans le temps, et peuvent faciliter l’obtention d’un compromis. Des systèmes de relution peuvent être mis en place par les investisseurs (sous forme d’obligations convertibles à parité variable, de Bons de souscription, de cessions d’actions…). Ils peuvent permettent à l’équipe dirigeante de renforcer sa part de capital si les résultats atteignent le prévisionnel (cf. Fiche 14). Il est fortement conseillé de préférer ce mode d’incentive, qui a également le mérite de rassurer les investisseurs, aux systèmes de dilution en cas d’échec ou de retard, qui sont souvent des « doubles peines » !
• En dehors des conditions financières d’entrée, les conditions indiquées dans les clauses du pacte d’associés sont également très importantes, et notamment les conditions de sortie. Une erreur serait de raisonner uniquement en termes de dilution. D’autres éléments sont à prendre en compte dans « le package » de la négociation, comme :
> La liberté de management,
> Les clauses du pacte en termes de droits et de contrôle (droits de vote double par exemple…),
> Les clauses du pacte prévoyant la sortie.
Une réflexion sur le sujet de la valorisation est importante avant même d’aller rencontrer les investisseurs. Il faut s’y préparer et surtout savoir de quoi on parle : on peut bien évoquer tous les montages et toutes les clauses que l’on veut, le tout est de chercher à comprendre ce qui se cache derrière.
Et de donner la prime non pas à la valorisation la plus haute, mais bien à l’accord le plus clair et le plus simple entre les parties. Au-delà de la valorisation, c’est donc bien l’ensemble des conditions qu’il faut regarder.