Pour une célébrité, il est devenu inimaginable de ne pas exister numériquement ou, pire, d’être présent sur les réseaux sociaux sans y être populaire. Et démarrer de zéro sans coup de pouce est très complexe.

En quelques heures, le jeune chanteur canadien a perdu 3,5 millions d’abonnés. Il lui en reste tout de même plus de 20 millions. L’honneur est sauf. Mais l’affaire Bieber a mis au jour une obscure pratique qui s’est popularisée à grande vitesse ces dernières années, au rythme de l’essor des réseaux sociaux : l’achat d’une audience fictive pour gonfler sa notoriété digitale.
Star du show-business, homme d’affaires ou simple quidam, la quête de popularité est devenue un concours de beauté planétaire sur Facebook ou Twitter. Et les personnalités politiques ne sont pas en reste. Une récente enquête, menée par l’agence de conseil en e-communication Tequilarapido pour Challenges, souligne l’importance du phénomène dans la classe politique française. De François Hollande à Marine Le Pen en passant par Nicolas Sarkozy, aucun ne semble échapper à cette tentation. Champions toutes catégories, Jean-Luc Mélenchon et Nathalie Kosciusko-Morizet affichent tous deux 70% de faux abonnés sur leur compte Twitter respectif.
Pour une célébrité, il est devenu inimaginable de ne pas exister numériquement ou, pire, d’y être présent sans y être populaire. Et démarrer de zéro sans coup de pouce est très complexe. Community manager et spécialiste et de la communication digitale, Vincent Huwer s’est inscrit sur Twitter aux débuts du réseau social. « C’était en 2007, il n’y avait pas beaucoup de Français, on se connaissait tous, raconte-t-il. Puis l’audience a explosé avec la campagne de Barack Obama et il y a clairement eu une prime à l’ancienneté : Twitter nous a mis en avant et les nouveaux arrivants se mettaient à nous suivre. » Il compte aujourd’hui plus de 140.000 abonnés. Les nouveaux entrants ne bénéficient pas de cet effet d’aubaine.
Une pratique légale
Le trafic de faux amis ou de faux abonnés s’est donc industrialisé de manière tout à fait légale. « Des sociétés spécialisées, notamment des agences de communication digitale, proposent de faux comptes par dizaines de milliers », explique Vincent Huwer. Ce service est tarifé en toute transparence. La société e@si services, par exemple, basée à Montpellier, propose de s’acheter une popularité sous diverses formes : pour 15 euros, il est possible d’acquérir 100 « like » sur Facebook, 500 abonnés sur Twitter, ou 500 followers sur Instagram. Pour obtenir 1.000 vues sur YouTube, il en coûte 10 euros.
« Je ne crée pas moi-même ces comptes, insiste Maxime Montico, le fondateur de la société. Je me fournis auprès de prestataires, des fermes de comptes installées aux Etats-Unis ou en Inde, et qui approvisionnent des revendeurs comme nous. » La chaîne de valeur est nébuleuse et complexe. Certaines de ces fermes de comptes font elles-mêmes appel à des fournisseurs et elles ne se chargent en aucun cas de la partie technique du business, de plus en plus subtile.
Ces faux comptes sont parfois facilement reconnaissables, notamment surTwitter où le profil de l’utilisateur garde son illustration par défaut, un œuf sur fond coloré. Les techniques se sont sophistiquées au fil du temps, et ces abonnés virtuels sont aujourd’hui légitimés grâce à des robots, des algorithmes logiciels qui leur font suivre les comptes bien réels de journaux ou de personnalités politiques.
« Le business est bien ancré depuis trois ans, constate Maxime Montico. L’activité se maintient bien et a même tendance à grossir. » Car le marché déborde à présent le cadre des personnalités et touche de plus en plus le grand public. Il évoque l’affaire du bijoutier de Nice, fin 2014, un braquage qui avait provoqué une mobilisation sans précédent sur les réseaux sociaux : plus d’1,5 million de « like » sur une page Facebook créée pour l’occasion. « Nous avons été saturés de commandes, notre chiffre d’affaires a été multiplié par cinq en quelques jours », confie-t-il. Sa clientèle, aujourd’hui, s’étend de l’artisan soucieux de faire parler de lui à l’agence de communication parisienne agissant pour ses clients.
Bertrand Girin, le fondateur de l’agence Reputation VIP, dénonce les effets de cette course à l’échalote : « Cela se détecte facilement. Des outils comme SocialBro.com permettent de repérer les choses pas naturelles : par exemple, si 60% de vos fans viennent d’Amérique du Sud et que vous êtes un homme politique français, il y a un souci. » Les célébrités ne sont généralement pas au courant de ces acquisitions, organisées par leurs équipes de communication, mais la pratique peut faire plus de mal que de bien.
« Plus le nombre de faux amis est grand, moins l’engagement est fort, explique Toufik Lerari, fondateur de Tequilarapido. Depuis quelques mois, les réseaux sociaux commencent à faire le ménage, notamment Facebook ouInstagram qui cherchent à monétiser de la qualité, donc de l’engagement. » Le 12 mars, les administrateurs de pages Facebook ont ainsi observé une chute brutale du nombre de « like » sur leurs pages après un coup de balai de la plateforme.
Plus difficiles à repérer
Mais au petit jeu du gendarme et du voleur, le second garde toujours une longueur d’avance sur le premier. « Nos fournisseurs ont des prestataires techniques qui parviennent à créer des routines qui s’adaptent aux mises à jour des réseaux sociaux », raconte Maxime Montico. Autrement dit, ces faux comptes ont de plus en plus l’apparence d’amis authentiques. Et pour tromper définitivement leur monde, certains ont trouvé l’arme absolue : les bourses de vrais faux amis. La plateforme YouLikeHits.com propose ainsi aux marques ou aux célébrités de doper leurs audiences avec de vrais abonnés, rémunérés à chaque fois qu’ils acceptent de suivre ou de « liker » un compte.