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La plupart des start-up innovantes ne se posent pas la question du cadre légal »

Nicolas Colin est ingénieur, énarque et spécialiste de l'économie numérique. Très proche du milieu des start-up, il préconise une adaptation règlementaire pour les sociétés innovantes.

Nicolas Colin est ingénieur, énarque et spécialiste de l’économie numérique. Très proche du milieu des start-up, il préconise une adaptation règlementaire pour les sociétés innovantes.

LEA CRESPI POUR L’EXPANSION

Alors que la guerre entre UberPop et les taxis fait rage, la question du lien entre innovation et respect de la loi se pose. Pour Nicolas Colin, créateur de The Family, il faut imaginer des dérogations pour sortir de l’impasse. Interview.

Les chauffeurs de taxis sont tellement remontés qu’ils comptent manifester, jeudi 25 juin, contre UberPop. De son côté, le gouvernement dénonce lui une « situation d’illégalité absolue » pour le service de transport entre particuliers tandis que le préfet de police de Paris entend réhausser le niveau des sanctions. Mais Uber s’en moque et poursuit son bras de fer avec l’Etat français. La société américaine n’est pas la seule à contester voire à enfreindre la législation nationale. Beaucoup de jeunes entreprises innovantes se lancent tête baissée dans des secteurs très réglementés en contournant ou flirtant avec les limites de la loi. Sont-elles en avance ou très mal élevées ? Barbares ou visionnaires ? Et quels rapports entretiennent-elles avec ce fameux cadre légal ? Entretien avec Nicolas Colin, associé fondateur de l’accélérateur The Family et auteur de nombreux rapports et ouvrages sur le numérique.

Pourquoi certaines start-up se lancent-elles consciemment dans un business qui flirte avec l’illégalité ?

C’est une constante dans l’innovation radicale. L’entrepreneur a une idée et se démène pour la réaliser. Attendre de changer la loi pour se lancer pourrait sembler plus sage mais c’est impossible. D’abord parce qu’un entrepreneur qui démarre ne sait pas forcément où il va. Il défriche un chemin au fur et à mesure et peut aboutir à des résultats inattendus. Il peut également se rendre compte très tardivement de la viabilité de son idée ce qui rend très compliquée toute volonté de déterminer un cadre juridique a priori. Je pense que beaucoup ne se posent pas vraiment la question voire ignorent totalement le cadre légal pour se focaliser sur le service qu’ils veulent proposer. Et ils se disent aussi que puisque la technique le permet et que les moeurs évoluent, c’est la preuve que le cadre législatif est obsolète et donc appelé à évoluer.

Ils pensent donc que la loi va finir par s’adapter ?

Oui, sauf que ce principe ne fonctionne pas du tout chez nous. Aux États-Unis, par contre, les choses se passent comme ça pour deux raisons principales. Le capital investissement est bien plus conséquent donc les start-up bénéficient de beaucoup plus d’argent pour se payer les services d’avocats et de lobbyistes ou participer au financement des campagnes électorales, ce qui leur permet non seulement de bénéficier d’un regard plus bienveillant de la part des autorités et surtout de s’acheter du temps en engageant des recours et des procédures de contestation. L’autre raison, c’est la nature même de la loi. Le système américain est celui de la Common Law, c’est à dire que la loi est une référence pour le juge qui décide ensuite de son application au cas par cas, de façon moins codifiée. Une décision qui, si elle est ensuite confirmée par la Cour d’appel ou la Cour suprême, peut ouvrir une brèche favorable à la start-up concernée. Ce cadre est donc bien plus propice à l’innovation que chez nous où le juge a moins de latitude, où le cadre est plus rigide. Les seules brèches possibles sont le dépôt de QPC (Question prioritaire de constitution), comme l’a fait Uber. Mais c’est justement une entreprise américaine qui a les moyens de le faire. Ces différences règlementaires constituent une forme de handicap à la compétitivité pour les entreprises françaises.

Une société comme BlaBlaCar réussit pourtant très bien…

Oui mais BlaBlaCar a prospéré dans une niche, en s’abritant derrière une subtilité légale existante avec le barème fiscal des indemnités kilométriques. Les gens ne sont pas des chauffeurs professionnels mais des particuliers qui en transportent d’autres sur des longs trajets. Mais du coup, le covoiturage urbain n’existe pas car les sommes sont bien trop dérisoires pour les conducteurs. Si BlaBlaCar mettait en place des incitations financières pour les chauffeurs qui font des petits trajets, on basculerait dans un registre professionnel, domaine réservé aux taxis et aux chauffeurs de VTC. Or la loi ne fait aucun juste milieu et a divisé le monde en deux : les particuliers et les professionnels.

Faut-il alors changer la loi ?

Je pense qu’il faut imaginer une nouvelle façon de légiférer, inventer des dérogations ou un régime d’options. Pourquoi ne pas créer un nouveau statut pour les entreprises innovantes, notamment celles de l’économie collaborative. Ce statut leur donnerait à la fois des droits et des devoirs. Ils pourraient par exemple être libérés de certaines règlementations sectorielles trop pesantes et obsolètes en échange de l’obligation de cotiser pour les utilisateurs de leur plateforme pour se constituer une protection sociale. Au delà d’un certain seuil d’activité, les entreprises pourraient sortir de ce régime particulier. Je suis persuadé que beaucoup de start-up signeraient.