
« L’actualité va si vite que nous avons l’impression de ne rien retenir. La culture entrepreneuriale se nourrit d’articles annonçant des levées de fonds, des concours et présente pléthore de startups qui disruptent tout et n’importe quoi, avec pour ambition d’uberiser leur secteur ». C’est le début du manifeste deWydden Magazine. Mais cela pose une question de fond : l’entrepreneur n’a-t-il pas besoin de remettre en cause ses idées, ses convictions, sa vision pour rester performant ? Kirzner, économiste autrichien, parlait d’alertness. Mais comment rester alerte quand tout ce qu’on lit et voit n’a aucune saveur ?
Génération Tinder
L’entrepreneur a pris, avec le temps, l’habitude de tout lire en travers, en diagonale, en pointillé. De ne pas lire en fait. Pire, six internautes sur dix partageraient des informations… sans les avoir lues, selon une étude publiée par le Washington Post. Lepersonal branding a donc pris le pas sur l’information de qualité.
En réalité, nous reproduisons avec l’information ce que nous faisons déjà avec le reste. À savoir, une consommation excessive, presque morbide, mais qui reste en surface. Pourquoi creuser un sujet quand je peux en lire dix de travers ? L’hyper connexion, les notifications, BFM TV nous habituent à cette junk information. La masse n’est que rarement compatible avec la qualité. Et que dire de cette course à l’exclusivité ? Est-il vraiment important de savoir qui a sorti l’information en premier si l’analyse qui l’accompagne est pertinente ?
Le web et la course à l’audience ont-ils fait perdre tout sens critique, nous ont-ils contraints à une similitude éditoriale et un fouillis informationnel?
Dernièrement, le patron de StreetPress, Johan Weisz expliquait qu’ « un média perdait de l’argent quand il faisait de la qualité ». Pourtant dans le même temps, des revues comme XXI, des sites comme Spicee ou des magazines comme Wydden séduisent des amateurs de qualité et gagnent de l’argent. La qualité prend du temps et a un prix, une vérité qu’internet nous pousse parfois à oublier.
Il est vrai que la fast life des entrepreneurs parait éloignée de la slow information. Pourtant, l’entrepreneur a besoin de lenteur et de réflexion pour rester performant. Usain Bolt ne s’entraine pas que sur 100m, car pour être performant sur 100m il faut travailler en profondeur et sur des distances beaucoup plus longues. L’entrepreneur doit rester en alerte sur les tendances globales et pas que celles de son marché. Il doit garder une ouverture d’esprit et le recul nécessaire à la prise de bonnes décisions. La slow information répond à ce besoin, à la fois par la qualité et l’angle des articles choisi, mais aussi parce qu’elle permet de décrocher le temps d’une lecture de son quotidien.
Six internautes sur dix partagent des informations… sans les avoir lues.
L’apologie de la lenteur
Le slow movement est né dans les années 80. À l’époque, il n’avait que pour objectif de contre carrer les plans des fastfoods. L’escargot envahi petit à petit tous les domaines : art, voyage, sexe et bien sûr les médias. L’entrepreneuriat reste encore très loin de cette mouvance. Et dans l’écosystème start-up, il est tout simplement inexistant. Il faut dire que les chances de survie des futures ex licornes à 18 mois sont tellement faibles que les entrepreneurs n’ont pas vraiment de temps à perdre. Pierre Desproges diasait qu’« il est payant parfois de savoir prendre son temps. Les tronches défaites du bâfreur hâtif et de l’éjaculateur précoce sont éloquentes à cet égard.» CQFD.
La qualité prend du temps et a un prix, une vérité qu’internet nous pousse parfois à oublier.
Pourtant, qui peut se passer, dans un processus créatif, d’information de qualité ? De reportages de fond, d’ articles inattendus, de portraits, de philosophie et d’humour. En réalité, il n’existe pas aujourd’hui de journalisme fait par des entrepreneurs pour les entrepreneurs. Une autre presse que celle qui glorifie les levées de fonds et qui fait croire que l’entrepreneuriat est un processus facile. La slow information questionne plus qu’elle n’apporte de réponses, mais n’était-ce pas ce dont ont besoin tous les entrepreneurs ?
La hype startup de ces derniers temps a vu naitre des analyses qui n’apportent rien, des JT qui utilisent le mot startup à tout va et d’un manque criant de recul. Où sont donc passés les contenus de fond, ceux qui nous font réfléchir, ceux qui nous confrontent à nos certitudes, nous donnent envie d’interagir, et nous permettent de nous forger notre propre opinion? Le web et la course à l’audience ont-ils fait perdre tout sens critique, nous ont-ils contraints à une similitude éditoriale et un fouillis informationnel ? L’entrepreneur a besoin d’un contenu différent. Un contenu unique. Un contenu libre de tout modèle de masse, de tout annonceur, de toute bien-pensance entrepreneuriale uniformisée. Et de toute rapidité.
« Qui va piano, via sano ». Tout va si vite, ralentissons. Réfléchissons. Créons.
Kevin Bresson