Les compétences du patron constituent l’indicateur le plus révélateur de la satisfaction au travail, dit une étude. Les meilleurs dirigeants sont ceux qui possèdent des connaissances approfondies sur le cœur de métier de l’entreprise
Les patrons s’intéressent depuis de nombreuses années aux facteurs responsables de l’insatisfaction professionnelle. Et pour cause: de nombreuses études ont établi que les employés heureux sont plus productifs, s’absentent moins au travail et risquent moins de démissionner. À cet égard, chaque départ occasionne des coûts de recrutement, de sélection et de formation importants pour les entreprises ainsi qu’une rupture de la continuité du travail. S’ils ne peuvent retenir tous leurs employés, les dirigeants cherchent naturellement à limiter le nombre de démissions et d’absences, notamment parmi les collaborateurs les plus productifs. Comment s’y prennent-ils?
Il existe autant de théories et d’études relatives aux causes d’insatisfaction au travail que d’employeurs. Pour les uns, la clé réside dans la création d’emplois intéressants et stimulants qui confèrent aux employés une grande autonomie. Pour les autres, il s’agit avant tout de mettre en place des systèmes de rémunération équitables et de créer un environnement de travail stable et collégial dans lequel l’individu se sent soutenu.
Un chef compétent, une source de satisfaction au travail
Pour Amanda Goodall, co-auteure d’une étude intitulée «Boss Competence and Worker Well-being», si tous ces éléments revêtent certes une importance déterminante, aucun ne constitue cependant l’indicateur le plus révélateur de la satisfaction au travail. «Les compétences d’un chef ont un impact beaucoup plus important sur votre satisfaction au travail que le salaire, le travail en lui-même ou le secteur dans lequel vous exercez», assure-t-elle.
Dans son étude, cette professeure associée à la Cass Business School de Londres a suivi 35 000 employés au Royaume-Uni et aux Etats-Unis sur plusieurs années à l’aide de données longitudinales. «Nous avons observé l’effet d’autosélection, c’est-à-dire les employés qui changent d’emploi lorsqu’ils ne sont pas satisfaits de leur patron. Et nous avons pris en compte la personnalité des employés en vérifiant si les plus enjoués étaient plus susceptibles d’attribuer une note supérieure pour évaluer leur satisfaction au travail ou les compétences de leur supérieur, ce qui aurait faussé les données.»
Trois facteurs ont été identifiés comme déterminants pour le bien-être des employés et leur productivité: chez les 1600 Britanniques sondés, le niveau de satisfaction était plus élevé lorsqu’ils étaient dirigés par un supérieur hiérarchique capable de faire son travail. L’analyse de 6 000 employés américains a quant à elle permis d’établir que la satisfaction au travail était plus grande lorsque le patron avait gravi les échelons de l’entreprise ou l’avait fondée. Enfin, pour 27 000 employés américains, le niveau de compétences techniques d’un supérieur (tel qu’évalué par ses employés) avait un impact considérable sur le bien-être au travail. «Cet aspect prévaut sur tous les autres facteurs plus conventionnels qui influencent la satisfaction au travail, notamment la formation, le salaire, l’ancienneté, la distance entre le domicile et le lieu de travail, et le fait de travailler dans le secteur privé ou public», analyse Amanda Goodall.
Les attentes varient selon l’âge de l’individu
Nicolas Nervi, directeur Marketing du Groupe BeMore spécialisé dans les ressources humaines, invite cependant à prendre une certaine distance avec ce type d’études qui énumèrent, par ordre d’importance, les indicateurs de satisfaction. Il rappelle que les facteurs responsables du bien-être et de la motivation au travail varient selon la personnalité, les besoins et l’âge des individus. «Les attentes des employés vis-à-vis de leur chef évoluent au fil des ans. Une personne âgée de 25 ans sera à la recherche d’un mentor, d’une figure de référence, d’un expert qui lui offrira des outils de travail mais aussi un soutien. À l’inverse, l’employé de 50 ans recherchera davantage de reconnaissance grâce à une meilleure rétribution salariale et une stabilité de l’emploi.»
Le supérieur doit faire autorité dans le travail ou l’activité avant d’avoir de l’autorité sur son employé.
Toujours est-il que s’ils peuvent susciter un certain scepticisme, les résultats de l’étude «Boss Competence and Worker Well-being» s’expliquent facilement. En effet, de nombreux individus, toutes catégories d’âges confondues, passent la majeure partie de leur temps au travail. La personne pour laquelle ils s’échinent à longueur d’année est à l’évidence importante. En outre, les compétences d’un chef, lorsqu’elles sont le fruit d’une évolution au sein d’une organisation, indiquent généralement que le patron comprend la nature du travail et qu’il est à même de l’apprécier et de le rétribuer à sa juste valeur.
À cet égard, Yves Clot, professeur et titulaire de la chaire de psychologie du travail au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), relève que «le supérieur doit faire autorité dans le travail ou l’activité avant d’avoir de l’autorité sur son employé.» Autrement dit, l’expérience est l’autorité suprême, étant précisé que dans un monde qui évolue très vite, les plus âgés ne sont pas toujours les plus expérimentés. Ainsi, dans une start-up, un informaticien de 25 ans sera parfois plus crédible en tant que chef qu’un patron de 50 ans mal à l’aise avec les nouvelles technologies.
«Apprendre à s’adapter»
Un patron qui ne connaît pas son métier est en outre rarement écouté et respecté. Lisa*, 35 ans, assistante marketing et communications, se souvient du malaise provoqué par les lacunes de sa supérieure. «Ma cheffe se reposait entièrement sur ses collaborateurs et ne maîtrisait aucun dossier. Lors des présentations, elle faisait beaucoup d’erreurs qui décrédibilisaient toute l’équipe.» Marc*, opérateur électricien, a longtemps travaillé pour une entreprise hydroélectrique. «Mon chef était menuisier de formation. Il n’avait aucune notion d’électricité et ne s’intéressait pas au métier d’opérateur. Il était pourtant chargé d’évaluer et de superviser le personnel.» Caroline* travaille enfin dans l’éducation. «Notre DRH est un ancien aide-soignant qui est arrivé là un peu par hasard. Il n’a suivi aucune formation et n’a jamais eu le Brevet fédéral de spécialiste en ressources humaines. Lorsqu’il conduit des entretiens, son manque de professionnalisme met ses adjointes dans l’embarras.»
Mon chef était menuisier de formation. Il n’avait aucune notion d’électricité et ne s’intéressait pas au métier d’opérateur.
Que faire face à un chef incompétent? Amanda Goodall conseille «vivement aux employés de se tourner vers des supérieurs qui disposent de connaissances approfondies sur le cœur de métier de leur entreprise». Nicolas Nervi est d’un avis plus nuancé. «De nombreuses personnes éprouvent des difficultés à trouver un emploi stable à cause de facteurs macroéconomiques, rappelle-t-il. Choisir son patron est un luxe rare que seul un petit nombre peut s’offrir. Pour la majorité de la population, il faut apprendre à s’adapter».
*prénom d’emprunt