Nous ne nous intéresserons ici qu’à la méthode DCF, souvent la plus obscure et la plus mal utilisée (voir http://finalysis.fr/news.php?numnews=3).
Si l’application en est semée d’embuches, le principe est simple : l’entreprise est valorisée comme la somme des cash-flows qu’elle va générer, actualisés à un taux supposé rémunérer actionnaires et prêteurs. On obtient ainsi la « valeur d’entreprise », la valeur des actifs de l’entreprise, dont il faudra retirer la dette financière nette pour obtenir la valeur des fonds propres (valeur des actions).
En pratique, on établit un business plan, et on calcule les free cash-flows d’exploitation par la formule :
FCFexpl = Rexpl (1 – txIS) + amortissements – variation du BFR – investissements
(Rexpl = résultat d’exploitation, txIS = taux d’impôts sociétés)
C’est le cash-flow que dégagerait la société débarrassée de sa dette.
Il sert à la fois à rémunérer les actionnaires et à assurer le service de la dette.
On notera que le service de la dette est allégé par un avantage fiscal : le fisc « rembourse » un tiers des frais financiers (déductibilité des intérêts).
On calcule ensuite le taux d’actualisation qui va rémunérer l’actionnaire et le banquier à due proportion de leurs apports respectifs dans le financement de l’entreprise.
– L’actionnaire attend une rémunération élevée, qui prend en compte le caractère risqué d’un investissement en fonds propres. Ce « taux risqué » sera d’autant plus élevé que l’investisseur sera moins confortable avec le business plan : un paquebot du CAC40 pourra délivrer un taux de 7%, là où une start-up devra promettre 40%…
– La banque, pour sa part, se contentera d’une modeste rémunération de quelques pourcents, traduisant une prise de risque moindre. Avec un coût pour l’entreprise encore réduit par l’avantage fiscal.
– Le coût du financement de l’entreprise (« coût moyen pondéré du capital », CMPC ou WACC pour les anglo-saxons) va donc se calculer par la formule :
(TR = taux risqué)
Dernier « petit » détail, on est supposé faire la somme des cash-flows que va dégager l’entreprise, sans limitation de date, et donc jusqu’à… l’infini.
Le fait que ça ne tienne pas dans notre feuille Excel n’est pas très grave, ce qui est plus gênant c’est qu’on est généralement déjà bien incapable de prédire l’avenir à 10 ans, alors, à l’infini…
La solution habituellement retenue consiste à calculer les cash-flows jusqu’au bout de la feuille Excel, ou bien un peu avant si on manque d’idée sur leur évolution, et à considérer qu’au delà de ce point, toutes les singularités de la société (ses avantages concurrentiels, la qualité de son management, la valeur de ses marques, l’état de santé de son capitaine…) seront estompées et qu’elle ressemblera à n’importe quelle autre société. La somme des cash-flows au delà de cette date sera calculée par application d’un multiple au dernier cash-flow (ou bien par une formule tenant compte de la croissance supposée à long terme).
Voilà, le cadre est posé, le piège est tendu, il suffit de mettre n’importe quoi dans les différents paramètres pour obtenir n’importe quoi comme valorisation…
Reprenons les principaux paramètres et voyons comment ils peuvent être « enjolivés » :
Promettre une croissance mirifique
Bonne méthode en apparence pour gonfler les cash-flows et la valorisation.
Sauf qu’on oublie trop souvent que la croissance a un coût.
Il ne suffit pas de décréter qu’on va prendre des parts de marché, il faut développer de nouveaux produits, renforcer les équipes commerciales, faire un effort sur les prix… ce qui pèse sur la rentabilité.
Et puis il faut investir plus, et puis financer le surcroît de BFR. Cela doit être pris en compte dans le business plan.
A l’extrême, une trop forte croissance peut peser sur la valorisation.
Pour l’acquéreur : trouver un accord avec le vendeur sur des prévisions d’activité réalistes, et bien vérifier que les coûts en résultant ont été pris en compte.
Booster la rentabilité d’exploitation
Augmentation de productivité, amélioration du mix produit, accès à des matières premières meilleur marché… et puis le fameux effet d’échelle.
A défaut de scénario de rupture (la récente baisse du prix du pétrole peut en être une, un plan de réduction d’effectifs aussi), il convient d’être prudent sur la possibilité d’amélioration de la rentabilité opérationnelle. Pourquoi toutes les mesures envisagées n’ont-elles pas été prises avant ? Les investissements, les coûts sociaux pour y arriver ont-ils bien été intégrés dans le plan ?
Attention aussi aux augmentations soudaines de rentabilité la dernière année (pour rendre la mariée plus belle !).
Quant à l’effet d’échelle, il faut le manipuler avec précaution. Les charges fixes ne sont fixes que sur une certaine échelle de temps. On peut souvent augmenter l’activité de 10% sans augmenter les effectifs, mais il faudra recruter des commerciaux, des ouvriers… pour doubler l’activité, et puis il faudra renforcer l’équipe de management pour grossir plus.
Si on n’a pas observé d’effet d’échelle dans la passé, ne pas tabler dessus pour le futur.
Par exemple la marge d’EBITDA d’Essilor (22%) est la même en 2013 que 10 ans plus tôt malgré un doublement du chiffre d’affaires. Dans le même temps, celle de l’Air Liquide, dont le chiffre d’affaires à presque doublé (x 1,8) est passée de 24,5% à 25%.
(voir http://finalysis.fr/news.php?numnews=2)
Pour l’acquéreur : éviter, sauf bonne raison dument argumentée, de fixer la rentabilité d’exploitation à une valeur jamais atteinte par le passé.
Minorer le besoin d’investissements
Un grand classique : tous les investissements ont déjà été faits, l’usine est surdimensionnée…
Ou bien, le montant annuel d’investissements est stable malgré la croissance de l’activité.
L’impact sur la valorisation est souvent spectaculaire : dans le cas d’une société consacrant habituellement 40% de son EBITDA aux investissements, réduire cette dépense de moitié augmentera les cash-flows et donc la valeur d’entreprise d’au moins un tiers. Si la société a autant de dette que de fonds propres, c’est de 2/3 que sera augmentée la valeur des fonds propres !
Pour l’acquéreur : vérifier que le ratio « investissements / chiffre d’affaires » ne s’éloigne pas trop des valeurs historiques, et qu’il est cohérent avec le ratio « amortissement / chiffres d’affaires ».
Séparer, dans la mesure du possible, investissements de croissance (proportionnels à la croissance), de maintenance (proportionnels au chiffre d’affaires) et de productivité (évaluer leur temps de retour).
Vérifier que les investissements prévus sont suffisants en cas d’augmentation de la croissance.
Enfin, assurez-vous que le ratio « free cash-flow / chiffre d’affaires » et le ROCE ne s’envolent pas (voir à ce sujet http://finalysis.fr/news.php?numnews=5).
(Comparer aussi le ROCE, qui mesure la rentabilité dégagée par les actifs d’exploitation, avec le CMPC qui est la rentabilité attendue des mêmes actifs par les financeurs).
Minorer le besoin de fonds de roulement
Un effort de gestion a été fait, les stocks ont été réduits, les clients paient plus vite…
Et puis les stocks sont bien suffisants pour supporter une hausse de l’activité.
L’impact d’une minoration du BFR n’est pas aussi important que pour les investissements, il est visible surtout si on anticipe une forte croissance.
Pour l’acquéreur : vérifier que le ratio « BFR / chiffre d’affaires » du prévisionnel est cohérent avec l’historique, sur plusieurs années. Attention au window-dressing du dernier bilan !
Là aussi, le test du ROCE (et du « free cash-flow / chiffre d’affaires ») sera précieux.
Gonfler la « valeur terminale »
La valeur terminale, c’est la somme de la queue de cash-flows qui sort de la page Excel, ou bien qui sort de la période sur laquelle on a une visibilité suffisante pour écrire des prévisions.
On peut la calculer par diverses méthodes, mais toutes reviennent plus ou moins à appliquer un multiple au dernier cash-flow.
Pour l’acquéreur : vérifier que le dernier cash-flow est un cash-flow normatif (pas gonflé, notamment pour les entreprises cycliques), puis s’assurer que la valeur terminale retenue correspond à un multiple décent du dernier EBITDA.
Minorer le taux d’actualisation
C’est là sans doute le point le plus sujet à discussion…
On a vu que le taux risqué peut aller de quelques pourcents pour une grosse société peu risquée à plus de 40% pour une cible de capital-risqueur.
Baisser de quelques points le taux risqué impacte très fortement la valorisation.
A titre d’exemple, une baisse des taux (OAT) de 1 point fera augmenter le CAC40 de 20%.
On décompose généralement le taux risqué en un taux sans risque, typiquement le taux des OAT à 10 ans (https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/taux-indicatifs-des-bons-du-tresor-et-oat.html), et une prime de risque.
La prime de risque mesure donc le surplus de rémunération qu’attend un investisseur d’un placement en actions par rapport à un placement en OAT.
Aujourd’hui, le taux des OAT à 10 ans est historiquement bas, proche de 0,6% et la prime de risque proche de 7% pour le CAC40.
Mais cette prime de risque moyenne des grosses entreprises ne peut évidemment pas convenir pour valoriser une PME. On la corrige généralement par un facteur beta qui prend en compte toutes les spécificités de la société, et notamment son secteur, sa taille et son niveau d’endettement :
taux risqué = taux sans risque + beta x prime de risque
Pour une PME de quelques dizaines de millions d’euros, un beta de 2 semble un minimum.
Ne pas oublier également que le calcul du CMPC suppose une pondération par la dette d’une part, et par la valeur des fonds propres d’autre part. On parle bien de valeur des fonds propres et non de fonds propres comptables. S’il s’avère que la valeur des fonds propres employée pour ce calcul du CMPC est très différente de la valorisation de l’entreprise, il faut refaire le calcul en utilisant la nouvelle valeur (itérer si nécessaire). Si la valeur comptable des fonds propres est très inférieure à la valeur réelle de l’entreprise, le poids des fonds propres sera minoré dans le CMPC, celui de la dette majoré, ce qui aura pour effet d’abaisser le taux d’actualisation.
Enfin, la technique de valorisation par la méthode DCF marche bien quand le niveau d’endettement est relativement stable sur la durée du plan.
Dans le cas d’une société très lourdement endettée au départ, il est préférable d’utiliser la méthode APV (Adjusted Present Value) qui consiste à valoriser séparément l’entreprise supposée désendettée et l’avantage fiscal lié à la dette.
Pour l’acquéreur : faire plusieurs calculs de valorisation avec une plage assez large de taux d’actualisation. Dans le cas d’une prise de contrôle, faire également le calcul avec un taux d’endettement « normatif » (la dette de la cible sera probablement refinancée).
Oublier une partie de la dette
De la somme des cash-flows actualisés, il faut retirer la dette financière nette pour obtenir la valeur des fonds propres.
Attention à ne pas oublier de retraiter les dettes hors bilan (escompte, crédit bail, dettes de retraites…), vérifier que les provisions pour risques et charges ne contiennent pas de dettes assimilables à des dettes financières (restructuration, environnement… dont le paiement n’aurait pas été intégré au plan), corriger les effets d’un éventuel window-dressing sur le BFR.
Et puis, attention au cash qui n’appartient pas vraiment à la société (entreprises au BFR structurellement négatif, avances clients) et à la saisonnalité (prendre l’endettement moyen).
Décotes et recotes
Le calcul ci-dessus permet une approche de la valeur d’une entreprise par comparaison avec des sociétés cotées (notre prime de risque est basée sur le CAC40 et sur des betas généralement issus de sociétés cotées).
Si les titres de la société à valoriser ne sont pas cotés, ils seront peu liquides, ce qui justifie une décote dite d’illiquidité, typiquement 15 à 30%.
A l’inverse, la cession du contrôle majoritaire de la société justifie une prime de contrôle qui va dépendre de l’objectif de l’acquéreur. L’acquéreur pourra notamment évaluer le montant des éventuelles synergies qu’il espère dégager du rapprochement de la cible avec ses autres activités, afin d’apprécier le montant d’une prime qu’il pourra envisager d’accepter de payer.
On rentre là dans une problématique de négociation qui peut conduire à des valeurs de transaction très différentes de la valeur calculée.
La valeur calculée n’est utile que comme référence « objective », comme base de départ aux négociations.
La sensibilité de la valorisation à tous ces paramètres peut aisément être appréciée grace à notre logiciel d’analyse financière / évaluation en ligne, Olifan (cliquez).
– Les méthodes de valorisation financière donnent un prix qui va servir de base aux négociations.
– Il est souhaitable qu’acquéreur et vendeur s’accordent sur un business plan qui semble acceptable aux deux parties. Une attention particulière doit être apportée à l’évolution de la rentabilité et au niveau des investissements. Et il est très utile de s’assurer que le ROCE ne dépasse pas des niveaux raisonnables…
– Enfin, la question du taux d’actualisation est délicate. Il convient d’examiner la sensibilité de la valorisation à une variation des taux dans une plage assez large.
– Et si vous avez le moindre doute, faites appel aux experts de cabinets spécialisés !