«Nous avons ouvert un nouveau chapitre du livre de l’Univers.» C’est ainsi qu’Yves Sirois décrit l’extraordinaire découverte dont il a été l’un des principaux artisans, soit celle du fameux boson de Higgs à l’accélérateur de particules du CERN, en Suisse.
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris et responsable de l’équipe de 25 chercheurs français qui a contribué à cette expérience internationale sans précédent, Yves Sirois est devenu une célébrité dans les milieux de la physique des particules. Ce qu’on sait moins, c’est que ce chercheur est diplômé du Département de physique de l’Université de Montréal, où il a fait sa maîtrise en 1983.
Qu’un Québécois soit à la tête d’une éminente équipe de chercheurs français est peu banal. «C’est signe que nos universités offrent une excellente formation à la fois en mathématiques formelles et en physique», confiait Yves Sirois à Forum, ajoutant que la découverte appartient à toute l’équipe. Il était de passage à l’UdeM le 5 mars pour tirer des conclusions de ce qu’il qualifie d’évènement… improbable!
Vous avez dit «boson»?

Désintégration d’un boson de Higgs en quatre leptons dans cette collision enregistrée au CERN.
Un boson est une particule élémentaire qui exerce une force d’interaction entre les autres particules élémentaires. Les bosons sont à l’origine des différentes forces observées dans la nature comme la force nucléaire, la force faible responsable de la radioactivité ou l’électromagnétisme. Ce sont des bosons qui, par exemple, sont à l’œuvre dans la force d’attraction des aimants.
Pour comprendre la physique des particules, il faut recourir à des analogies issues du monde macroscopique qui est le nôtre. «Dans un mur de briques, les bosons seraient le ciment qui permet aux briques de tenir ensemble, explique Yves Sirois. Dans le cas du boson de Higgs, il est plus exact de parler d’un champ d’énergie; ce boson est la manifestation visible du champ de Higgs, un peu comme les vagues qu’on voit sur la mer.»
Les particules interagissent avec ce champ en le traversant et acquièrent alors une masse. Les particules massives sont ainsi apparues dans les premiers milliardièmes de seconde après le big bang, donnant de la substance à la matière qui a pu s’organiser. L’existence de ce champ a été postulée en 1964 par les physiciens François Englert et Peter Higgs. La confirmation de la théorie obtenue grâce à l’expérience réalisée au CERN en 2012 a valu aux deux théoriciens le prix Nobel de physique en 2013.
Il aura fallu 30 ans de travaux théoriques et pratiques pour en arriver là. La construction de l’accélérateur de particules a elle-même nécessité 19 ans. Il s’agit d’une étape majeure dans l’histoire de la physique, comparable à la découverte de l’électricité pour la technologie et de l’ADN pour la biologie.
«Le fait d’avoir démontré l’existence du boson de Higgs change le récit de l’Univers et notre compréhension de la matière», affirme le chercheur. Ce fut un moment d’autant plus palpitant que de nombreux physiciens dans le monde doutaient de l’existence du champ de Higgs.
«D’autres hypothèses que ce boson pouvaient expliquer la masse des particules. Si un accélérateur aussi puissant que le LHC [Grand Collisionneur de hadrons] a été construit, c’est parce que nous pensions que ce boson n’allait pas être découvert et qu’il nous faudrait pousser l’expérimentation plus loin. Le nouveau problème auquel nous faisons maintenant face est de résoudre l’instabilité qu’apporte ce boson dans la théorie : il suffirait d’un infime changement dans ce champ pour que l’Univers disparaisse instantanément. Mais il est stable depuis 13 milliards d’années. Il doit bien y avoir une explication! L’une des explications serait l’existence de multiples Univers. Mais peut-être qu’il existe aussi d’autres champs que le Higgs qui restent à mettre au jour dans les prochaines années.»
La découverte du boson de Higgs n’a pas été instantanée. Pire que de chercher une aiguille dans une botte de foin, l’expérience du CERN a tenu les chercheurs en haleine jour et nuit pendant trois ans au cours desquels des milliards de milliards de collisions de protons à protons ont été produites. «On parle de 400 millions de collisions à la seconde et 99 % d’entre elles sont rejetées, précise le physicien. Seulement une collision sur un milliard présente des résultats intéressants et c’est la compilation de ces données qui nous a livré la signature du boson de Higgs.»
Le chercheur humaniste

Yves Sirois
C’est à l’invitation de la Fondation humaniste du Québec qu’Yves Sirois est venu faire une tournée au Québec. Les parlementaires ont profité de son passage pour lui décerner la Médaille de l’Assemblée nationale, récompensant sa «contribution exceptionnelle à la science». L’année dernière, le CNRS lui remettait sa médaille d’argent, l’une des plus prestigieuses récompenses du domaine des sciences en France.
Il s’en est fallu de peu pour que cette carrière remarquable ne survienne pas. Au cégep, Yves Sirois hésitait entre faire de la musique et poursuivre des études en physique. Il a même joué au sein du groupe Pygmalion, qui assurait notamment les premières parties de spectacles de Beau Dommage et des Marie-Claire et Richard Séguin. Heureusement, la force du champ de Higgs a été plus forte.
Puisque ce boson était improbable, la vie apparaît donc d’autant plus extraordinaire. Pour cette raison, «nous avons un devoir humaniste de préserver la vie et pour cela nous avons besoin de la science et du progrès des connaissances», déclare-t-il.