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Les fondations d’une économie globalisée plus stable

Il est encore trop tôt pour comprendre tous les aspects de la crise financière et économique actuelle. Un nombre important de facteurs microéconomiques et macroéconomiques semblent avoir contribué à la formation des bulles et puis leur éclatement. Au niveau microéconomique, on peut citer la négligence des règles de base dans la distribution de crédits ou la prise de positions excessives sur les marchés des instruments financiers simples ou complexes, l’utilisation excessive des effets de levier, la complaisance des agences de notation, les produits financiers nouveaux non testés, le mauvais modèle de rémunération des opérateurs financiers, la négligence du risque systémique ou évènement grave et rare dans les modèles d’évaluation du risque, une dépendance trop grande de la liquidité de court terme pour financer des prêts de long terme, des objectifs de rendement trop ambitieux qui ne peuvent être atteint qu’en jouant un effet de levier élevé et donc risque incontrôlable en cas de forte turbulence de marché, ainsi que la manque de transparence concernant la distribution du risque dans le système financier. Au niveau macroéconomique, les taux d’intérêt directeur des banques centrales sont maintenus à un niveau trop bas pendant trop long temps et les déséquilibres des comptes courants entre le reste du monde et les Etats-Unis ont favorisé la baisse durable du taux d’intérêt de long terme sur le dollar américain. En outre, la réglementation bancaire et financière laisse trop de liberté aux banques pour apprécier leur propre risque en utilisant leur propre modèle qui s’avère inadapté en cas de crise systémique. Il y a par ailleurs une absence de réglementation du système bancaire de l’ombre utilisant des effets de levier extrêmement importants.

A chacun de ces facteurs, on pourrait proposer des solutions qui sont plus ou moins difficiles à être mises en oeuvre et qui suscitent des débats et de multiples controverses. Au niveau microéconomique, on propose d’imposer une traçabilité des produits financiers comme ce qui est pratiqué dans l’agroalimentaire et des tests des nouveaux produits financiers avant leur mise sur le marché. Ces mesures impliquent sans doute des coûts élevés et des difficultés pratiques liées à leur mise en oeuvre effective. Par contre, la proposition d’accroître la transparence dans le fonctionnement des marchés des nouveaux instruments financiers, notamment ceux qui ont pris beaucoup d’importance tels les CDS, est assez consensuelle. La solution passe par exemple par un système de règlement centralisé, permettant ainsi une surveillance accrue des comportements risqués des acteurs du marché.

Pour diminuer le risque pesant sur le bilan des banques, certains décideurs de politique et acteurs financiers prônent l’assouplissement des nouvelles règles comptables imposées après la crise du début des années 2000, qui consiste à valoriser la valeur des actifs et des engagements au prix du marché. Or, ce dernier pourrait ne plus exister en cas de crise systémique. D’autres considèrent que ces règles ne sont pas responsables de la crise. Pour réduire les aléas moraux dans les institutions bancaires et financières, il convient de responsabiliser les acteurs, d’une part en limitant via de nouvelles régulations le risque global pris, et d’autre part en liant leur compensation plus étroitement avec le risque pris en étalant le paiement des primes sur un horizon où les effets de cycle économique et financier sont lissés. Cette même idée pourrait être appliquée aux dirigeants des entreprises cotées qui prennent trop souvent trop de risque pour doper les profits dans le court terme et donc les cours des actions dans une optique de maximiser leur rémunération personnelle sans se préoccuper de la solidité économique et financière à moyen et long terme des entreprises qu’ils gèrent. Par ailleurs, une réglementation améliorée et une surveillance accrue des agences de notation constituent des moyens de diminuer le risque systémique en permettant aux investisseurs d’avoir des informations les plus fiables et transparentes possibles.

An niveau macroéconomique, il convient de redéfinir les ratios de solvabilité des banques en fonction de la conjoncture économique. Dans une phrase de croissance, il convient d’augmenter progressivement le ratio de solvabilité en fonction de la durée de la croissance, du taux de croissance cumulé ainsi que du prix des actifs et du taux de change.

Alternativement, les pondérations de risque des différents engagements devraient évoluer en fonction de l’amplitude et de la durée des cycles des expansions économiques. Ces mesures, en permettant de lisser la croissance de crédits, favorisent une croissance économique plus stable dans le temps.

Certains reprochent aux banquiers centraux d’être des pompiers pyromanes. Il est donc temps de repenser la pratique de la politique monétaire qui, depuis un certain temps, s’oriente de plus en plus vers le régime du ciblage d’inflation dont l’instrument de politique monétaire est le contrôle du taux d’intérêt nominal [5]. Les fondements théoriques de ce régime monétaire négligent en général le marché monétaire dont l’effondrement récent prouve son importance ainsi que les marchés financiers. Ils supposent également que les agents privés forment des anticipations rationnelles d’inflation de sorte que lorsque la banque centrale est transparente, indépendante et crédible, le taux d’inflation anticipée est égal à la cible annoncée par la banque centrale. La conduite de la politique monétaire devient relativement aisée car elle peut être formulée en termes de règle du taux d’intérêt nominal qui réagit à l’inflation anticipée, aux chocs affectant la demande des biens et le potentiel de croissance etc.. Après la crise de bulle Internet, certains économistes ont intégré des bulles des prix d’actifs dans leur analyse mais concluent en général à la non-nécessité de leur prise en compte tant qu’elles n’affectent pas les anticipations inflationnistes. D’autres études ont cependant conclu qu’il est nécessaire de répondre à la formation des bulles spéculatives et à l’évolution des chocs sur les marchés monétaires et financiers. Dans l’avenir, les banquiers centraux devraient prêter une attention particulière à ce que la politique monétaire ne favorise un gonflement incontrôlé des bulles. Comme on l’a vu dans la crise récente, les banques centrales se préoccupent de la liquidité en cas de crise, il convient dans l’avenir, pour éviter ce type de crise majeure, de surveiller et réguler également la liquidité dans le système monétaire et financière dans la phase d’expansion de l’économie [6]. Laisser aux seuls banquiers et autres acteurs économiques la détermination de manière autonome et noncoordonnée le niveau de liquidité comme le préconisent les théories du ciblage d’inflation est une pratique trop risquée car chaque opérateur individuel ne prend pas en compte les effets d’externalité macroéconomiques négatifs générés par ses propres actions. Seule la banque centrale peut avoir une vision globale et dispose des moyens de contrôle.

Une politique monétaire plus réactive à l’évolution des prix des actifs implique qu’il y aura moins de possibilité de gonflement de bulles des prix des actifs financiers et réels, ce qui diminue l’effet de richesse (et de bilan) et donc l’efficacité apparente de la politique monétaire. En réalité, le bien-être social pourrait être amélioré grâce à une meilleure stabilisation des activités dans le sens d’un lissage du taux de croissance au cours d’un cycle économique. Ce genre de politique monétaire aurait un levier moins puissant pour réamorcer la croissance en cas de crise, il est nécessaire donc de l’accompagner par des mesures de politique budgétaire et fiscale. Toutefois, il convient de moduler l’intensité d’utilisation des instruments de politique budgétaire afin d’éviter de stimuler la croissance au-delà de son potentiel, car cela risquerait également de créer des bulles dans les prix des actifs.

La politique budgétaire ne doit plus être utilisée comme la panacée pour régler des petits problèmes ici et là, souvent au service des objectifs électoraux. Les engagements explicites et implicites de l’Etat augmentent actuellement à un niveau représentant plusieurs fois le PIB annuel dans beaucoup de pays industrialisés. Ces engagements limitent les moyens d’intervention publique et pourraient constituer à terme des facteurs à l’origine des crises financières, économiques et même politiques majeures si des mesures appropriées ne sont pas prises à l’heure actuelle et dans le proche avenir. Disposant des moyens financiers limités, les Etats se doivent d’être de bons gestionnaires en investissant en priorité dans des projets qui ont un effet de levier puissant et durable sur la croissance économique future. Il est irresponsable de jeter des milliards dans des interventions publiques non réfléchies qui n’ont qu’une efficacité limitée ou même douteuse. Les économistes ne cessent de préconiser aux gouvernements de dégager des excédents budgétaires pendant les périodes de croissance économique forte pour pouvoir intervenir dans les périodes de crise. Il est important que les décideurs politiques retiennent la leçon tirée de cette crise pour mieux gérer la politique budgétaire lorsqu’on retrouvera la croissance économique.

Au niveau international, les Européens préconisent de réformer le Fonds monétaire international (FMI) et de lui attribuer de nouveaux rôles pour aboutir à une sorte de Bretton Woods II. Les pistes de réflexion sont nombreuses. Il s’agit notamment de permettre aux pays émergents d’avoir une plus grande représentation au FMI en fonction de leur poids économiques et d’augmenter les moyens d’intervention financière du FMI. Ce dernier pourrait jouer le rôle de régulateur financier international, surveiller et prévoir les risques de crise, et proposer des mesures pour prévenir les crises. Cependant, les Américains pourraient s’opposer à un changement radical du système monétaire et financier international, qui risquerait de laisser ce dernier échapper à leur contrôle. Le nouveau système devrait aussi mettre l’accent sur le rééquilibrage des échanges commerciaux entre les différentes zones économiques, ce qui oblige chaque pays de mener des politiques macroéconomiques plus responsables avec moins de risque de crise systémique au niveau mondial.

Conclusion

La crise financière actuelle, du fait de l’éclatement simultanée de multiples bulles importantes des prix d’actifs et des matières premières, pourrait avoir des conséquences négatives graves pour l’économie mondiale. La mesure de politique monétaire consistant à baisser le taux d’intérêt perd son efficacité et des mesures non orthodoxes audacieuses sont nécessaires pour gérer la crise bancaire et le risque de restriction de crédit qui s’ensuit. Les mesures de politique budgétaire d’une ampleur sans précédent sont nécessaires afin de diminuer l’effet de la crise financière sur l’économie réelle et d’éviter que les effets de récession économique ne viennent à son tour aggraver la crise financière. Les décideurs de politique doivent être réactifs et imaginatif dans leur prise de décision. Ils doivent non seulement se soucier de soulager des maux dans le court terme, mais également penser à stimuler le potentiel de croissance de long terme tout en inspirant la confiance aux opérateurs des marchés, aux entreprises et aux ménages. A la sortie de la crise, des réformes réglementaires, institutionnelles et politiques sont nécessaires pour rendre le système monétaire et financier international plus stable. Toutefois, il faut être conscient qu’il est illusoire d’espérer de retrouver une croissance économique aussi robuste qu’avant l’éclatement des bulles multiples.