Le chômage des seniors est plus que préoccupant, (+9% en un an), que peut-on y faire ? Changer les mentalités ? Désacraliser le CDI pour imaginer d’autres formes contractuelles de collaboration ? Alerter lesdits séniors ainsi que ceux qui sont en passe de le devenir, pour qu’ils anticipent le maintien de leur employabilité ? Forcer les recruteurs à ne pas discriminer en raison de l’âge ?… Sans langue de bois et en se basant sur leurs propres vécus, Emmanuel, Directeur International Achats Logistique en recherche d’emploi, et Marc Guichet (co-auteur de ce blog) Chasseur de têtes au sein du cabinet de recrutement Emergences RH, mettent cartes sur tables…
Marc : Bonjour Emmanuel, avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous ?
Emmanuel : Je suis ce que l’on appelle un « Senior » depuis un certain temps, puisque j’ai 56 ans. J’ai travaillé dans des entreprises de différentes tailles dans l’hôtellerie, la restauration, et la distribution alimentaire pour les métiers de bouche.
Ma passion est de créer, de mettre en place, de réorganiser une direction achats, une centrale d’achats, la supply chain, de négocier au plus haut niveau, de négocier des partenariats internationaux en France et à l’international. J’ai passé beaucoup de temps en déplacements en France comme à l’international. J’ai eu la chance d’avoir une grande autonomie de travail et des responsabilités importantes.
Comme beaucoup de gens qui travaillent dans des entreprises dont l’actionnaire principal est un fond de pension, la rentabilité est l’unique et seul objectif. Tout écart aux résultats attendus entraine généralement une réorganisation interne, bien souvent assez violente (il suffit de lire la presse pour le constater).
Après avoir été remercié de ma dernière position (nous sommes plus de 40 à être sortis de l’entreprise), il a donc fallu que je me lance dans un nouveau métier : la recherche d’emploi et croyez moi, c’est un vrai métier !
Nous assistons à une véritable lessive humaine et économique, c’est un véritable gâchis.
En effet, soit vous êtes « « junior » et vous allez devoir attendre pour travailler, soit vous êtes « senior » (soyons honnêtes, à partir de 45 ans, on commence déjà à penser que vous êtes trop vieux), et on n’a plus besoin de vous. Le créneau du nombre d’années de travail à effectuer se réduit de plus en plus. A ce rythme, dans les 10 ans qui viennent, on sera considéré comme senior à 35 ans.
Marc : Vous avez raison, votre analyse est juste.
Il existe bel et bien une « période dorée » entre 30 et 45 ans, même si, sur certains postes la séniorité est un atout. (Je pense entre autres à des positions de cadres dirigeants).
Il n’en demeure pas moins que « oui », avant ou après cette « période dorée », les objections, les craintes ou encore les points de vigilance liés à l’âge sont présents, c’est un fait.
Concrètement dans le cadre de votre recherche d’emploi, comment vous y prenez vous ?
Emmanuel : Je suis méthodique, je m’arme de patience et je garde le moral au plus haut niveau.
J’ai, dès le premier jour de ma recherche, construit un tableau Excel dans lequel je note chaque jour, toutes les recherches que j’ai faites (Pôle Emploi a du reste été surpris d’une telle rigueur – J).
En ce qui concerne les candidatures sur annonces, soit je n’ai jamais eu de réponse (ce que je considère comme un vrai manque de correction), soit je reçois des réponses négatives sans véritable explication et avec des phrases telles que : « vous ne répondez pas au cahier des charges du client » (mais quel est ce cahier des charges ?).
Pour certaines annonces pour lesquelles je collais vraiment au profil, je reste persuadé que mon âge a joué en ma défaveur.
Marc : Si un retour négatif n’est pas assez explicite, ou trop standardisé, vous avez le droit, et je dirai même, vous devez solliciter plus d’explications !
En ce qui concerne Emergences RH, notre porte est toujours ouverte au dialogue.
Nos réponses négatives sont signées par le nom du consultant en charge de la mission concernée, et complétées par son numéro de portable.
Ceci étant, nombreux sont aussi les candidats qui adoptent sur une position défensive. Plutôt que de décrocher leur téléphone pour défendre candidature, ils se cachent derrière un mail, souvent agressif… du style : « cela ne m’étonne pas… en France c’est toujours pareil… vous êtes encore un recruteur de pacotille ! ».
Du coup, même si, sur le papier, la candidature aurait pu être revue, un tel comportement conforte souvent ma position initiale !
Caroline (co-auteure de ce blog) a écrit un article sur ce point : « L’expérience candidat à double tranchant ».
Je vous invite à le lire, elle nous y fait part d’un candidat qui a sollicité plus d’explications suite à un retour négatif ; et il a bien fait, puisque qu’au final, c’était lui le bon candidat et il fut recruté !
Vous avez un réseau important… cela ne vous aide-t-il pas à trouver de bonnes pistes ?
Emmanuel : Oui bien sûr, cela m’a permis d’avoir des rendez-vous avec des décideurs, mais sans résultat à ce jour.
Ceux-ci restent prudents quant à leurs budgets et leurs investissements et n’ont pas de réelles visions donc, pas de prise de risque.
En ce qui concerne les cabinets de chasse de têtes et de recrutement, pour être efficace il faut avoir un contact au bon niveau, le réseau peut aider à cela. Ceci étant, concernant les chasseurs de têtes, après 50 ans en général on les intéresse beaucoup moins, le dossier est enregistré. il est nécessaire d’aller régulièrement sur leur site pour voir les annonces et de mettre plusieurs alertes.
Marc : Oui c’est un fait… Etre recruté en CDI après 55 ans est difficile.
Sur ce point, nous avons tous une responsabilité.
Les entreprises sont contradictoires…
- D’une part, elles ne sont plus en capacité d’offrir des carrières à vie ; ce qui entre nous est une bonne nouvelle, car la nouvelle génération n’en veut plus ! (objectif : vivre diverses expériences dans différents environnements, afin de préserver voire développer son employabilité).
- Et d’autre part, dans le même temps les entreprises prétendent vouloir investir sur du long terme quand elles recrutent un nouveau collaborateur !
Aujourd’hui, et je suis bien placé pour le dire, passé 5 ans dans une même organisation (bien souvent ce seuil est abaissé à 3 ans), nombreux sont les collaborateurs qui envisagent une mobilité, qu’elle soit interne ou externe. Alors, pourquoi ne pas envisager d’investir dans des collaborations plus courtes.
En 3 ou 5 ans, un nouveau responsable de site, directeur des ventes, ou responsable grands comptes par exemple, peuvent redresser une situation, apporter leur valeur ajoutée, ou encore développer de nouveaux marchés.
En parallèle, nous recruteurs, manquons vraisemblablement de courage pour porter ce discours et convaincre nos clients !
La question de nos honoraires est sans doute un frein, dans la mesure où le temps d’amortissement sera plus court… Le débat reste ouvert…
L’Etat également ne facilite pas cette situation.
Le CDI à force d’être trop « sacralisé » vampirise toutes les autres formes de collaborations.
L’Etat devrait impulser et accompagner une plus forte émergence des collaborations « ad’hoc », plus adaptées notamment aux personnes qui sont en recherche d’activité pour 3, 5, ou 6 ans ! Des contrats caractérisés par une mission, un objectif et non pas seulement par une durée…
Il faut également s’intéresser, valoriser, promouvoir mais aussi « sécuriser » les autres formes de collaborations propres aux free-lance, aux consultants, aux entrepreneurs en portage salarial ou encore, aux adeptes du temps partagé…
Enfin, les seniors doivent rester connectés, alertes et ouverts !
Vous êtes nombreux à ne pas être montés dans le train du digital et pour cause. Je ne vous jette pas la pierre, les nouvelles technologies vont très vite et nombreuses sont les entreprises qui elles-mêmes sont restées sur le quai.
De nos jours, le numérique a totalement investi nos organisations, nos process et même nos postures.
Il faut être connecté, communiquant, réactif, vif et avoir comme disent nos clients, « un body langage » qui donne envie, qui « match » avec leur image.
Tous les professionnels de nos jours, peu importe l’âge ou le métier, doivent faire l’effort de travailler leur marque personnelle (personal branding) sur les réseaux sociaux comme LinkedIn et Viadéo.
Vous devez être à l’aise avec les outils de visioconférence comme Skype, et vous devez travailler vos talents relationnels : savoir donner envie, savoir engager, savoir convaincre, savoir parler de soi avec simplicité, mais aussi avec pertinence et précision.
J’ai conscience que mes propos sont directs et pétris de subjectivité, mais c’est l’exact reflet de ma vraie vie de recruteur, sans fioriture et sans langue de bois !
Emmanuel : Les cabinets de management de transition représentent un créneau qui me semble en pleine expansion, et qui est un bon moyen d’apporter ses compétences pour des missions limitées dans le temps. C’est une autre façon de travailler….
Mais à ce jour, j’ai peu de retour positif car les missions dans les achats alimentaires sont rares.
J’ai également postulé auprès d’organismes de formation pour intervenir en tant que formateur sur les achats et le développement à l’international, je n’ai jamais eu de retour…
J’ai envoyé de nombreuses candidatures spontanées vers des entreprises bien ciblées et vers des entreprises en réorganisation (je m’appuyais sur la presse économique et professionnelle) pour avoir ce type d’informations.
Comme vous pourrez le constater, ma recherche est large et riche. Mais face à un marché en repli, cela reste un parcours du combattant.
Les missions et le rôle d’un(e) DRH ont beaucoup changé. Les mouvements sont tels dans les entreprises, que le rôle de beaucoup d’entre eux consiste à organiser et négocier les départs et souvent ceux-ci font partie de la charrette après.
Finalement quand je vois ce gâchis, j’aurais dû il y a quelques années rependre ou créer une entreprise, pourquoi pas sous enseigne franchisée.
Marc : Je ne peux que partager votre point de vue !
Je conseille à l’ensemble de mes candidats et/ou contacts professionnels, de toujours envisager le « coup d’après ».
La franchise ou la création d’entreprise sont des possibilités auxquelles il est intéressant de réfléchir au cours d’une carrière, avec en ligne de mire naturellement, une possibilité de donner du sens à sa vie mais aussi de manière plus terre à terre, de sécuriser notamment la fin de son parcours professionnel dans une démarche qui plus est « patrimoniale ».
J’ai d’ailleurs récemment écrit un article sur la question « Salariés entrepreneurs, la franchise vous tend les bras ».
Pour conclure, Emmanuel, comment faites-vous pour garder « l’envie de donner envie » ?
Emmanuel : Il est primordial dans la recherche de travail de toujours garder la forme et le moral ; c’est important pour aller à des entretiens. Mes supports sont la famille, les amis, et le networking. Notamment un réseau de cadres dirigeants et de chefs d’entreprises le réseau Oudinot au sein duquel je participe à des actions comme le speed networking, en tant que candidat, puis comme sparring partner ou encore comme organisateur.
Je pratique également du sport, je m’aère l’esprit, j’échange et je reste toujours en alerte !
Sinon, j’essaie de ne pas trop restreindre mes recherches en termes de secteurs d’activités et de types de postes. Plus on est réducteur, plus cela devient difficile de trouver.
La mobilité géographique France et International est un point important à envisager également, je suis totalement ouvert à celle-ci.
Marc : Merci Emmanuel…
J’invite ceux qui souhaitent rebondir sur notre échange à nous faire part de leurs témoignages …









