Le regroupement d’entreprises : points critiques et facteurs clés de succès

Le terme générique de « fusion-acquisition », que l’on définit usuellement comme un transfert d’activité entre deux entités juridiques distinctes impliquant un transfert de propriété, couvre en réalité une pluralité de situations. Le transfert des actifs et des passifs d’une activité peut s’effectuer par la vente, mais le plus souvent, elle fait l’objet d’une opération de fusion (fusion création ou fusion absorption), d’apport partiel d’actif ou de scission. Les sujets sensibles pour la réussite d’une telle opération sont fort nombreux et couvrent toutes les fonctions de l’entreprise, quelle que soit la taille de l’opération en question. Dans cet article, nous nous concentrerons sur :

• les aspects comptables
• les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qu’elles soient du côté de l’acquéreur ou de la cible.

Nous tenterons de répondre à la question suivante : Quels sont les points critiques et facteurs clés d’une opération de fusion-acquisition pour la direction financières dans le cadre d’un regroupement d’entreprises ?

I Le regroupement d’entreprises : les similitudes et les divergences entre les normes françaises et les normes IFRS

1. Les textes applicables

L’identification et l’évaluation des actifs acquis et des passifs transférés dépendent du référentiel utilisé. En effet, selon le référentiel utilisé, les conséquences sur la situation patrimoniale et financière du groupe seront différentes.

NORMES FRANÇAISES

Le règlement n°2005-10 afférent à l’actualisation du règlement n°99-02 relatif aux comptes consolidés des sociétés commerciales et entreprises publiques précise notamment :
– Que les biens destinés à l’exploitation sont évalués à leur valeur d’utilité et que les biens non destinés à l’exploitation sont évalués à leur valeur de marché à la date d’acquisition ;
– Que le goodwill est inscrit à l’actif immobilisé et est amorti sur une durée qui doit refléter les hypothèses retenues et les objectifs fixés et documentés lors de l’acquisition ;
– Qu’en cas de variations ultérieures du pourcentage de contrôle exclusif, les acquisitions complémentaires de titres ne remettent pas en cause les évaluations des actifs et passifs identifiés, déterminés à la date de la prise de contrôle. L’écart dégagé est affecté en totalité en écart d’acquisition.

NORMES IFRS

La norme IFRS 3 « Regroupements d’entreprises » définit le regroupement comme une « transaction ou un autre évènement au cours duquel un acquéreur obtient le contrôle d’une ou de plusieurs entreprises ». La date d’acquisition correspond à la date à laquelle l’acquéreur obtient le contrôle de l’entreprise acquise.

Concernant les modalités de comptabilisation, la norme IFRS 3 précise que l’acquéreur doit évaluer les actifs identifiables acquis et les passifs repris à leur juste valeur à la date d’acquisition. Le calcul du goodwill peut se faire selon 2 méthodes : la méthode du goodwill complet et la méthode du goodwill partiel. La méthode du goodwill complet consiste à évaluer les intérêts attribuables aux minoritaires à la juste valeur et à leur attribuer une partie du goodwill dégagé lors de l’acquisition. La méthode du goodwill partiel est celle utilisée en normes françaises ; le goodwill revient uniquement à l’acquéreur.

Enfin, en ce qui concerne les prises de contrôle par achats successifs de titres, l’acquéreur doit réévaluer la participation qu’il détenait précédemment dans l’entreprise acquise à la juste valeur à la date d’acquisition et comptabiliser l’éventuel profit ou perte en résultat.

2. Les similitudes entre les normes IFRS et les normes françaises

LA MÉTHODE DE L’ACQUISITION

C’est la méthode dite « de l’acquisition » qui s’applique quel que soit le référentiel utilisé. En effet, la méthode dite « dérogatoire », prévue au paragraphe 215 du règlement 99-02 est maintenue mais limitée aux seuls cas où l’évaluation des apports à la valeur comptable est possible dans les comptes individuels pour les opérations de fusion ou assimilées.

LES IMPÔTS DIFFÉRÉS

Dans les deux référentiels, les impôts différés doivent être pris en compte sans actualisation. En effet, par convergence avec la norme internationale qui n’actualise pas les actifs et passifs d’impôts différés, le principe d’actualisation des impôts différés est supprimé en normes françaises.

3. Les divergences entre les normes IFRS et les normes françaises

LE DÉLAI D’AFFECTATION

Dans les normes françaises, il est permis de modifier l’affectation du goodwill jusqu’à la clôture du premier exercice ouvert après l’exercice de l’acquisition (soit au maximum pendant 24 mois). En ce qui concerne les normes IFRS, ce délai d’affectation est réduit à 12 mois à compter de la date d’acquisition.

LE COMPLÉMENT DE PRIX

Si l’acquéreur pense qu’il est probable qu’il versera un complément de prix, celui-ci sera actualisé le cas échéant et intégré dans le goodwill. Cependant les modalités de valorisation seront différentes ; en normes IFRS, le complément de prix sera évalué avec un coefficient de probabilité alors qu’en normes françaises, le complément de prix sera comptabilisé pour son montant probable s’il peut être mesuré de manière fiable. Au-delà du délai d’affectation, les écarts par rapport au montant probabilisé en IFRS impacteront le résultat alors qu’en normes françaises, les écarts entre le prix payé et le montant estimé au passif impacteront le goodwill et non le résultat.

LES ÉCARTS D’ACQUISITION

Dans le référentiel CRC 99-02, les écarts d’acquisition sont définis comme la différence entre un coût d’acquisition (y compris frais d’acquisition) et une quote-part de situation nette réévaluée à la date d’acquisition. Les écarts d’acquisitions sont amortis selon les hypothèses d’acquisition. Dans ce référentiel, la situation consolidée favorise la position de l’actionnaire majoritaire ; les actionnaires minoritaires sont présentés comme des tiers. Et donc, l’évaluation de la quote-part acquise (goodwill partiel) est privilégiée.

Dans le référentiel international, le goodwill – même s’il est aussi mesuré par différence entre un prix d’acquisition payé (sans charges d’acquisition) et des actifs acquis et passifs repris – constitue au contraire un véritable actif incorporel qu’il est interdit d’amortir. Dans ce référentiel, il est question de deux catégories d’actionnaires : le majoritaire et le minoritaire ; le principe de valorisation est fondé sur la valeur globale de l’entité acquise, d’où la méthode du goodwill complet qui est la méthode préférentielle. La norme IFRS 3 permet toutefois de choisir entre les 2 méthodes. L’interdiction de l’amortissement s’accompagne en normes IFRS de l’exigence de tests de dépréciation (impairment test) nécessitant le développement de modèles le plus souvent inspirés des méthodes d’évaluation par les flux de trésorerie actualisés (DCF -Discounted cash-flows). Rappelons qu’en normes françaises, l’application de l’amortissement selon un plan prédéfini n’exclut pas l’obligation de pratiquer aussi des tests de dépréciation afin de comptabiliser le cas échéant, un amortissement exceptionnel.

LES ÉCARTS D’ACQUISITION NÉGATIFS

Les normes IFRS prévoient que les écarts d’acquisition négatifs soient comptabilisés immédiatement en résultat. Inversement, dans la législation française ces badwill sont inscrits en provision pour risques et charges et repris en résultat selon un plan de reprise.

LES ACQUISITIONS PAR LOTS SUCCESSIFS

En référentiel français, les écarts d’acquisitions dégagés sur chaque lot sont comptabilisés et maintenus à leur valeur historique (soumis à amortissement / dépréciation) et leur somme constitue l’écart d’acquisition global de la cible. Ils font l’objet d’amortissement selon les hypothèses retenues par l’acquéreur.

En référentiel IFRS, l’évaluation et la comptabilisation du goodwill ne se fait qu’une seule fois à la date de prise de contrôle. Ainsi, les acquisitions antérieures sont réévaluées à la juste valeur de l’acquisition, avec un impact sur le résultat et les acquisitions ultérieures sont réputées être des opérations entre actionnaires. En effet, la valeur du goodwill mesurée lors de la prise de contrôle est figée.

II Points critiques et facteurs clés de succès

Nous distinguerons trois étapes : avant l’opération, dès la réalisation de l’opération et après l’opération.

1. Avant l’opération

Si nous sommes du côté de l’acquéreur, il est plus que fortement recommandé que les équipes de consolidation soient intégrées en amont dans le processus d’acquisition afin de simuler l’opération d’acquisition dans les comptes du groupe. En effet, il est nécessaire de mesurer l’impact de l’opération sur les agrégats financiers, les conséquences en termes de communication financière et sur le respect des covenants.

2. Dès la réalisation de l’opération

Au niveau des directions financières et comptables

En ce qui concerne les directions financières et comptables, des échanges entre les équipes de la cible et de l’acquéreur sur 4 points clés, sont indispensables.

1 LE RÉFÉRENTIEL COMPTABLE

En premier lieu, il s’agit de savoir si nous conservons ou nous changeons de référentiel comptable. En effet, un passage aux normes internationales implique des divergences majeures. En tout état de cause, qu’il soit question d’un changement de référentiel ou non, nous devons comparer les règles comptables des deux entités économiques. Notre expérience nous a montré l’existence de quatre sources fréquentes de divergence significative.

A L’homogénéité des méthodes et durées d’amortissement : Cette question fréquemment omise est génératrice d’impact lourds en présence d’un actif immobilisé.

B Les engagements de retraite ; les changements de paramètres tels qu’une modification du taux d’actualisation ou autres paramètres (changement des droits, turnover, table de mortalité, rentabilité des actifs…) sont à prendre en compte.

C Les contrats à long terme. En effet, dans le cadre d’un passage à la méthode à l’avancement (méthode obligatoire dans le référentiel IFRS et préférentielle en normes françaises), un changement de l’outil de gestion est généralement nécessaire.

D Les frais de R&D ; les dépenses de développement peuvent être comptabilisées en immobilisations incorporelles en normes françaises et le sont obligatoirement en normes IFRS.

Bien entendu, d’éventuels changements de méthodes comptables dans les comptes sociaux de la cible exigent une analyse quant aux conséquences fiscales.

2. LE PLAN COMPTABLE

La compatibilité du plan comptable de la cible avec le plan comptable groupe de l’acquéreur nécessite une analyse approfondie. S’il existe des différences, les aménagements nécessaires sont à réaliser avec établissement d’un planning et d’un budget de modification des systèmes d’informations de la cible.

3. LE CALENDRIER DE REPORTING ET D’ARRÊTÉ COMPTABLE

De la même manière, des divergences peuvent exister entre les calendriers de clôture comptable et de reporting financier de la cible et ceux de l’acquéreur. Ainsi, la publication des comptes de l’acquéreur est généralement réalisée selon un calendrier plus serré ; des reportings plus fréquents sont aussi souvent rencontrés.

La mise en œuvre d’une démarche de fast-close peut être nécessaire avec toutes les conséquences organisationnelles que cela impose.

4. LES AGRÉGATS FINANCIERS ET LES NOTES ANNEXES

Ensuite, la définition et la disponibilité des agrégats suivis dans le reporting financier varient d’un groupe à l’autre. A titre d’exemple, il n’existe aucune définition normalisée de la marge brute ou de l’EBITDA. Il est donc primordial de communiquer à ce propos. En outre, les compléments d’informations aux états financiers sont présentés différemment d’un groupe à un autre. Par exemple, la note de l’annexe concernant les dettes peut comprendre plus ou moins d’informations : la nature du taux (fixe / variable), la fourchette de taux et/ou la devise…

Il est donc nécessaire de faire un planning de mise en phase de la cible avec le calendrier et les procédures et principes de l’acquéreur. En effet, grâce au classement des priorités, l’acquéreur a la possibilité d’octroyer un délai supplémentaire pour les éléments jugés non prioritaires.

Enfin, les échanges avec les commissaires aux comptes sont à intégrer tout au long du processus afin d’éviter une remise en cause tardive des options retenues.

Au niveau du responsable consolidation

Le responsable consolidation a 3 missions principales durant l’opération de regroupement d’entreprises. Premièrement, il pilote la collecte de toute la documentation juridique, financière et comptable de l’opération. Par ailleurs, le calcul du prix d’acquisition selon le référentiel du groupe (divergences de prise en compte en IFRS et 99.02 des compléments de prix prévus notamment par la clause d’earn out) repose sur lui. Enfin, il est en charge de l’établissement de l’allocation du coût du regroupement, communément appelé PPA (purchase price allocation). En effet, les normes de consolidation exigent de rationaliser le goodwill en l’affectant aux éléments susceptibles de justifier un prix d’acquisition supérieur à la valeur des fonds propres de la cible. La mission d’allocation ne saurait se limiter à l’identification et à l’évaluation des actifs et passifs, mais doit être réalisée en gardant à l’esprit les modalités de mise en œuvre des tests d’impairment pour faciliter notamment le suivi du goodwill résiduel. De fait, le goodwill acquis lors d’un regroupement d’entreprises doit être affecté à chacune des unités génératrices de trésorerie de l’acquéreur ou à chacun des groupes d’unités génératrices de trésorerie susceptibles de bénéficier des synergies du regroupement d’entreprises.

3. Après l’opération

Au niveau des directions financières et comptables

En ce qui concerne les directions financières et comptables, la nomination d’un chef de projet (DAF ou un de ses proches collaborateurs) dédié au management de l’intégration est recommandée. En jouant un rôle de liaison et d’interface, le chef de projet prend en compte les informations stratégiques issues des négociations et oriente la démarche d’intégration dans le sens défini par les deux parties. Il s’agit donc d’assurer une continuité dans la démarche et d’éviter toute forme de rupture ou de décalage après l’opération de regroupement, préjudiciable à la bonne transmission des informations.

De la même manière, les directions financières et comptables se doivent d’apporter une attention particulière à l’aménagement des systèmes d’informations (SI) de la cible ; notamment aux progiciels utilisés.

Enfin, concernant la gestion des changements organisationnels, des actions de formation des équipes comptables et financières de la cible sont généralement à prévoir. Il peut s’agir d’une formation générale de mise à niveau sur certains thèmes ou d’une formation aux principes et procédures de l’acquéreur. En outre, tout regroupement d’entreprises a des conséquences sur le planning de charge des équipes de la direction financière de la cible mais aussi de l’acquéreur, tout au moins pour les plus significatives. Les conséquences sur la gestion des congés, les modalités de l’absorption des surcroits d’activité sont à étudier au plus tôt. Plusieurs pistes sont possibles pour absorber le surcroit d’activité : le recours à l’intérim, des recrutements en CDD ou l’appel à un cabinet extérieur.

Au niveau du responsable consolidation

Le responsable consolidation, souvent en relation avec le service fusion / acquisition dans les entreprises les plus grandes et toujours sous la supervision du directeur financier, voire du directeur général, aura la charge du développement ou tout au moins du suivi des résultats des modèles d’impairment test.

Le responsable consolidation étudiera également avec attention les transactions post acquisition sur les actifs de la cible, transactions qui peuvent remettre en cause l’allocation du coût du regroupement, voire le résultat de la cible.

Conclusion

L’anticipation des travaux, une excellente planification et une bonne technicité sur opération sont les facteurs clés de succès d’une opération de regroupement d’entreprises. Cependant, une opération significative de regroupement d’entreprise est si possible, à proscrire en fin d’exercice afin d’éviter une désorganisation majeure du processus d’arrêté des comptes du groupe (ce qui n’empêche pas certains dirigeants de signer une acquisition avec effet au dernier jour de l’exercice…). Par ailleurs, ce type d’opération s’accompagne souvent d’un changement de DAF de la cible (comme de tous ses dirigeants).

Toutefois, une bonne adhésion du DAF au changement et sa capacité d’adaptation, augmentent parfois ses possibilités de se voir proposer sinon son maintien à son poste, son évolution au sein du groupe. Faute de quoi, le DAF pourra toujours augmenter son employabilité ailleurs, en avançant l’expérience difficile mais très riche acquise dans le cadre d’un regroupement d’entreprise.

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